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GASTON CHAMBRUN

ses heures de liberté lui étaient devenues précieuses et trop rares à son gré.

Il ne crut pas cependant, devoir rompre complètement ses assiduités au « club ». Celui-ci constituait pour lui, comme un apprentissage de la vie sociale et pouvait, avec le temps et l’influence, lui devenir un champ d’apostolat.

Fréquenté surtout par la jeunesse aisée et instruite, de dix-huit à trente ans, le club Mc Donald, pratiquant un libéralisme peu commun, ouvrait ses portes à tous indistinctement, sans acception de races, de langues ou de religions.

Établi dans un but philanthropique et social, aux charmes d’une société choisie et cultivée, il joignit les avantages d’une bibliothèque bilingue, fournie et variée ; des salles de jeu y étaient aménagées avec un restaurant accessible à toutes les bourses.

Centre de récréation et d’amusement pour les uns, de dépenses pour d’autres, il fournissait par des conférences périodiques une occasion de développement intellectuel aux jeunes gens désireux de préparer leur future carrière. Gaston Chambrun fut de ces derniers.

Jouissant du privilège, assez rare dans le milieu, de manier les deux langues officielles du Canada avec une égale aisance, ce relief lui procura plus d’une fois l’occasion d’intervenir dans des discussions, entre les deux éléments dominants et trop souvent adverses du pays : Français et Anglais.

Se souvenant des conseils de l’abbé Blandin et des espoirs que ce dernier fondait sur lui pour le triomphe de la bonne cause, il s’enhardit peu à peu ; ayant maintes fois constaté par lui-même, la pauvreté d’argumentation ou la mauvaise foi des adversaires de sa langue et de sa religion maternelles, il se résolut à prendre l’offensive et bientôt donna son nom pour une conférence qu’il intitula courageusement : « Du maintien de la langue française au Canada. »

Le sujet fit sensation et ce jour-là, la salle se trouva trop petite. Le talent de l’orateur, sa compétence en la matière, les chaudes sympathies qu’il sut rallier à la cause dont il s’était fait le champion, valurent au conférencier de nombreuses et pathétiques félicitations : celles de Monsieur de Blamon qui l’avait honoré de sa présence, lui furent particulièrement sensibles.

Étant donné l’actualité brûlante de cette question vitale, nous ne résisterons pas au plaisir de donner ici, un résumé substantiel de cette belle conférence ; peut-être éveillera-t-il des sentiments analogues, dans les âmes droites et sincères que n’aveuglent ni un esprit de parti ni un fanatisme étroit et haineux.

Messieurs, débuta le jeune orateur. Avant de traiter devant vous, premièrement des droits du français au Canada,[1] et deuxièmement de nos raisons de le maintenir, je veux vous dire immédiatement que, sans dédaigner les garanties légales de notre « Langue », enregistrées dans la constitution du pays, je suis convaincu que ce ne sont pas ces garanties qui sauveront notre « parler français ». Il nous faudrait une dose de naïveté peu commune pour croire à la sécurité que peuvent donner les textes de loi, quand ils n’ont aucun appui moral. Le plus ferme appui du français au Canada, c’est la volonté déterminée d’un peuple fier, qui veut le parler. Nous sommes en Amérique les témoins du sang français. Isolés longtemps au milieu de la masse anglo-saxonne, ruinés, coupés pendant de longues années de toute communication efficace avec le pays de nos origines, ayant à combattre un ensemble de forces hostiles, nous avons réussi, en moins de cent soixante ans, à porter notre nombre, de soixante-cinq mille à trois millions ; nous avons bâti toute une organisation nouvelle, nous avons constitué le groupe français le plus puissant, le plus compact qu’il y ait en dehors de l’Europe.

Ces titres ne sont-ils pas suffisants pour nous conférer des droits, sinon à la sympathie du moins à l’équité ?

L’Acte de Québec de 1774, justement appelé la grande charte des libertés canadiennes, fut accordé à tout le territoire qui correspond aujourd’hui aux provinces de Québec, d’Ontario et nous pourrions ajouter avec un auteur ; du « Manitoba ».

Quand, en 1791, le parlement impérial constitua l’Ontario, il s’exprimait ainsi par la bouche de Lord Grenville, alors ministre des Colonies en Angleterre : « Il faudra soigneusement tenir compte des préjugés et coutumes des habitants français, qui forment une si considérable partie de la population et veiller avec le même soin à leur conserver la jouissance des droits civils et religieux que leur garantissent les articles de la capitulation de la province, ou qu’ils doivent depuis, à l’esprit libéral et éclairé du gouvernement britannique. »

Conséquemment, dès le 3 juin 1793, la législature du Haut Canada, décréta que ses lois seraient traduites en langue française, pour l’avantage de ses habitants français actuels et futurs.

Pour ce qui concerne cette province, Messieurs, laissez-moi vous lire, l’article xxiii du 3ème chapitre des Actes du Manitoba qui, depuis, a été confirmé par un statut impérial en 1871 :

L’usage de la langue française ou de la langue anglaise sera facultatif dans les débats des Chambres de la Législature ; mais, dans la rédaction des archives, procès-verbaux et journaux respectifs de ces chambres, l’usage des deux langues sera obligatoire et ainsi de toute plaidoirie ou pièce de procédure, émanant des tribunaux du Canada, qui sont établis sous l’Acte de l’Amérique Britannique du Nord, 1867.

Des textes si clairs se passent de commentaires ; en présence de la situation actuelle, créée à notre langue dans cette province, ils prouvent simplement que des ministres se sont déshonorés en foulant aux pieds cet acte constitutionnel et se sont voués à jamais au mépris des peuples qui ont gardé la notion de l’honneur et de la foi jurée.

En second lieu, Messieurs, étudions les motifs que nous avons de maintenir la langue française au Canada. « Comme ce sont les fermes convictions qui déterminent les viriles et généreuses résolutions, afin de fortifier celles-ci, entre beaucoup de raisons nous choisirons les trois suivantes.

  1. De « L’Action Française »