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GASTON CHAMBRUN

automobile encadrée par l’adresse du fabricant. Après avoir glissé sa missive dans la grande boîte rouge du coin, l’individu disparut prestement, parmi les attardés du théâtre ou des bars malfamés.

Le lieutenant venait de rejoindre ses compagnons, lorsque dans un geste de dépit, il s’écria :

— Espèce d’animal que je suis : dire que je l’avais sous la main et qu’il m’a échappé !… Inutile de nous éreinter à lui donner la chasse, nous le pincerons quand même avant longtemps !…

— De qui parlez-vous, lieutenant, lui demanda un des deux agents ?

— Du voleur de Winnipeg dont le télégraphe nous a donné le signalement la semaine dernière. L’identité est frappante, impossible de s’y méprendre ; sans aucun doute, il doit faire partie de la bande qui, après avoir opéré là-bas est venue faire diversion dans nos parages, Ah ! les brigands ! ils n’ont qu’à se tenir : morts ou vifs, il nous les faut !

— Oui ! oui ! nous les aurons, reprirent les deux policiers, tandis qu’à toute vitesse leur automobile dévorait la longue avenue du Boulevard Saint-Laurent. Moins de dix minutes après, la berline de Golinet stoppait devant la prison de Bordeaux. Bien qu’arrivant à une heure indue, il insista pour téléphoner au bureau central de la sûreté ; puis l’automobile reprit sa course dans la direction de Sainte-Rose et du Lac des Deux-Montagnes.

De grand matin, la lettre au cachet rouge était sur la table du chef de police. L’en-tête commercial n’était qu’un palliatif pour éloigner toute suspicion du côté de la poste.

L’adresse comportait ces seules indications : Poste restante, Casier 407, Winnipeg. La teneur de style télégraphique, était conçue en termes tels, que seul un affidé pouvait en pénétrer le sens. Les quelques mots intelligibles, perdus dans un chaos de phrases énigmatiques étaient les suivants : Succès !… attends… et Moulins-Nord…

De cette maigre capture, il était difficile d’arriver à saisir le plan des malfaiteurs et moins facile encore de les appréhender. De chaque mot, cependant, des conclusions pouvaient être tirées.

L’auteur du grimoire semblait rendre compte de l’exécution d’un programme, à lui confié et qu’il avait fidèlement rempli. Le second mot déchiffrable confirmait l’idée du premier ; il s’agissait donc d’un subalterne et qui attendait, soit des ordres, soit du renfort ou même le versement de son salaire pour achever une besogne tracée. Dans le troisième, le chef de police crut voir, étant donné les dernières rumeurs venues de la région, le lieu du prochain rendez-vous de la bande ; c’étaient, à n’en pas douter, les grandes scieries de Monsieur Richstone, établies à Lachute sur la rivière du Nord, lui étaient désignées par ces mots : Moulins-Nord.

Satisfait de l’interprétation de sa découverte, le chef s’assit à son bureau ; de sa main gauche caressa les pointes de ses moustaches, puis saisissant une feuille de papier, d’une main nerveuse y traça ses instructions. Bientôt, à l’appel du timbre, se présenta un policier qui reçut ordre d’enfourcher son motocycle. Ayant placé le pli cacheté dans la poche intérieure de son vêtement, il salua son chef et disparut en un clin d’œil, à la rencontre du lieutenant Golinet. La matinée était radieuse et les charmes d’une fraîche nature, caressée par une légère brise, changèrent la course de l’exprès, en une délicieuse promenade.

Gaston Chambrun, en communiquant à la police de Winnipeg les vagues indications fournies par sa maîtresse de pension, n’avait guère foi dans leur efficacité. Un fait, surtout, l’avait déconcerté : c’est qu’aucun des hommes récompensés avec lui n’était parti et n’avait même témoigné la moindre gêne dans le maintien de leurs relations. Il ne trouvait personne sur qui faire peser des soupçons ; donc nul espoir de recouvrer jamais sa créance.

Le courrier du chef de police n’avait pas tardé à rejoindre Golinet. Il le trouva installé à la mairie de Sainte-Scholastique, comme quartier général. Satisfait de la tournure des événements et flatté de la confiance que lui témoignait son supérieur, il se fit adjoindre deux auxiliaires ; il partagea ensuite les divers services, et en prévision des éventualités possibles, fixa à chacun son rôle.

Deux jours, durant, toutes les paroisses de la région furent visitées par ses limiers, distribuant aux habitants, les feuilles annonces des grands magasins de la métropole. Il leur était facile, en faisant dévier la conversation, de s’enquérir des rumeurs courantes. Toutes les informations recueillies confirmaient les pressentiments des émissaires et augmentaient leur confiance dans le succès.

Dans l’après-midi du dimanche, divers étrangers, d’allures suspectes, leur avaient été signalés de Saint-Hermas. Les rideaux qui les dissimulaient dans leur automobile vieillie, mais légère et rapide, ne permirent d’autre signalement que celui d’un cylindre-réservoir placé à l’arrière du véhicule. Leur séjour au village fut de courte durée. Bientôt, par le chemin qui longe la voie ferrée, ils disparaissaient dans la direction de Lachute. Mais trois agents de la police secrète les y ont précédés dès la veille.

C’est un samedi, par une belle soirée de septembre ; la nuit tombe : dans le calme et la fraîcheur du soir, les « habitants » goûtent les douces joies du repos en famille, achetées par une dure semaine de labeurs champêtres. Les seuils des habitations sont garnis ; d’une galerie à l’autre, les conversations s’échangent bruyantes mais amicales.

Graves, dans leurs berceuses, les hommes savourent la pipe des jours de fête, les enfants, jouent sur la rue tandis que les jeunes filles en cheveux, dans le charmant négligé de leur blanche toilette, vont et viennent par groupes intimes, excitées et rieuses, accueillant avec délices tous les saluts et les sourires que provoque leur passage.

La nuit devenant plus sombre, peu à peu, les groupements se font plus rares et le calme plus profond. Soudain la corne stridente et accélérée d’une motocyclette, lancée à toute vitesse, coupe les dernières conversations et tourne tous les regards vers le coude de la rue, où elle vient de disparaître dans un nuage de poussière. Deux minutes se sont à peine écoulées, qu’une seconde course, aussi vertigineuse que la première, se reproduisit en sens inverse.