Page:Simon - L'écrin disparu, 1927.djvu/132

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
131
L’ÉCRIN DISPARU

Essayant en vain une conciliation entre les faits connus et la déclaration de Dupras, finalement cette protestation jaillit de ses lèvres :

— Mais c’est impossible ! Jean était à Montréal et c’est à Pointe à Fortune, dans la direction opposée, que le chauffeur Harry a conduit madame Giraldi…

— En grande vitesse, reprit Dupras, on va promptement de Pointe à Fortune à Montréal !… une fois l’alibi constitué, ils ont eu le temps de faire un second voyage !…

Les deux hommes étaient assis en face l’un de l’autre, séparés par un guéridon, sur lequel Dupras s’accoudait parfois en parlant.

Jamais Parizot ne devait oublier la pitoyable physionomie de ce jeune homme malingre, dont les yeux creusés et la voix débile faisaient effort pour accentuer le plus sincère et le plus accablant des réquisitoires.

— Oui, ils sont coupables !… Oh !… avant même qu’on eût retrouvé le cadavre de Jean, je savais qu’il y avait eu crime…

À entendre son récit circonstancié, l’idée ne pouvait venir, qu’on l’eût jamais accusé de folie.

Le jour du crime, dit Dupras, j’avais accompagné Jean qui allait prendre le train pour Montréal. Dans l’auto qui nous conduisait à la gare, l’enfant m’avait montré un bel Agenda en cuir fauve, marqué aux initiales : « J. G. » accompagné d’une jolie plume-fontaine.

— Regardez, Monsieur, me dit-il le joli cadeau de Papa.

Tandis que Jean prenait au guichet, son billet d’aller et retour, l’auto conduit par Harry, était reparti vide. Quant à moi, ajouta Dupras, je devais aller au bureau de poste faire enregistrer une lettre adressée à un monsieur Holden de Chicago, et à laquelle, monsieur Giraldi attachait une grande importance. Mais tandis que Jean prenait de nouveau son Agenda pour y placer son billet de retour, l’enfant eut un geste de pénible contrariété :

— Je joue vraiment de malchance : j’ai perdu ma belle plume-fontaine. C’est sans doute en vous montrant le cadeau de Papa, que j’ai dû la laisser choir à côté de ma poche…

— Si elle est tombée dans l’auto, répliquai-je, vous n’avez pas à vous inquiéter, Harry vous la tendra.

À ce nom le visage de Jean se rembrunit :

— Je n’ai pas confiance dans Harry… ayez donc l’obligeance, je vous prie, d’aller, en rentrant, la chercher vous-même, je vous en serais bien reconnaissant.