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L’ÉCRIN DISPARU

Rassuré par ma réponse affirmative, Jean monta dans le train, après avoir remis dans sa poche, l’Agenda contenant le billet de retour.

Revenu au Parc des Cyprès, encore tout préoccupé des formalités qu’avait exigées la recommandation de la lettre, j’oubliai la promesse faite à mon élève, et lorsqu’elle me revint à l’esprit, l’auto n’était plus au garage ; madame Giraldi l’ayant pris pour aller à Pointe à Fortune.

Ce ne fut que vers les sept heures que j’entendis rentrer la puissante machine. Je pris alors ma lampe électrique de poche et me dirigeai vers le garage. La voiture stationnait devant la porte toute couverte de la boue amassée en cours de route. Et quelle boue ! par quels chemins était-elle donc passée ?… les glaces, les roues maculées de vase, accusaient une vitesse vertigineuse ; mais de prime abord, le fait ne me parut pas mériter réflexion.

D’une main, tenant ma lampe sourde, j’ouvris la portière prêt à commencer mon inquisition relative à la plume de Jean, quand j’aperçus, à demi caché par un pli du tapis, un Agenda en cuir fauve… Je le ramassai dans la pensée de le remettre à madame Giraldi ; mais en regardant de plus près, le doute ne fut plus possible ; c’étaient bien les initiales « J. G. » de mon élève ; d’ailleurs, le billet de retour, était là dans une des poches destinées à cette fin.

J’en étais là de mes constatations, lorsque j’entendis quelqu’un approcher. Instinctivement, je dissimulai l’objet de ma trouvaille. C’était le chauffeur qui venait laver l’auto ; la grosse lanterne qu’il avait à la main, éclairant sa figure de bas en haut, la faisait paraître encore plus sinistre…

Son regard me parut si dur, que sans avoir été questionné, je me crus obligé de lui expliquer ma présence, en disant que j’étais venu chercher un objet oublié dans la voiture.

J’eus l’imprudence d’ajouter :

— Vous êtes allé à Montréal, aujourd’hui, n’est-ce pas ?

Il tressaillit convulsivement, comme un homme qui recevrait un coup à l’improviste. Je ne saurais vous dire ce que ses yeux pâles exprimèrent alors de menace silencieuse… il fit un pas vers moi, les mains crispées, levées à la hauteur de la gorge… Je vous jure qu’à cette minute, monsieur, il avait le désir de m’étrangler…

— J’ai conduit Madame à Pointe à Fortune, dit-il d’une voix sourde : pourquoi dites-vous que nous sommes allés à Montréal ?…