Page:Simon Levy - Moïse, Jésus et Mahomet, Maisonneuve, 1887.djvu/451

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prier pour le pécheur, il aurait épuisé tout le bel enseignement de la Synagogue. Mais que penser de paroles comme celle-ci : « Je ne prie pas pour le monde, mais je prie pour ceux que tu m’as donnés[1] ! » Loin de nous cependant de croire qu’une semblable prière ne soit jamais venue sur les lèvres du docteur de Nazareth ! Il était trop pénétré de l’esprit biblique, au point de vue surtout de la charité envers le prochain quel qu’il fût, pour ne pas avoir ressenti en faveur du pécheur ce sentiment de sympathie qui déjà avait inspiré au roi David ce vœu ardent : « Qu’il te plaise, ô Seigneur, de faire revenir vers toi les pécheurs[2]. » La phrase si pleine de mansuétude que Luc met dans la bouche de son maître : « Mon père, pardonne-leur, car ils ne savent ce qu’ils font[3] », prouve à tout le moins que, dans la primitive Église, le précepte juif qu’il faut avoir de l’amour pour le pécheur, n’était pas encore oublié. Tout le dogme chrétien de la Rédemption a même sa base dans ce principe d’amour. Si la doctrine juive a constamment repoussé ce dogme comme attentatoire à la dignité et à la grandeur native de l’homme, elle n’en a pas moins conservé pour le pécheur une tendresse qui l’a sans cesse rapprochée de lui, autant qu’un sentiment de mansuétude bien compris doit rapprocher du prochain. Ce ne fut jamais ce sentiment qui fit défaut au peuple d’Israël. Ce dont ses guides et ses docteurs ont pu toujours le louer avec vérité, c’est d’avoir été constamment un « peuple plein de mansuétude, de modestie et de charité[4]. » Et pour qui la commisération doit-elle le plus s’émouvoir, si ce n’est pour le pauvre pécheur que l’erreur ou la passion égare ? Combien le Talmud a donc eu raison de s’étendre, avec une complaisance marquée, sur

  1. Jean, chap. XVII, v. 8.
  2. Ps., chap. LI, v. 16.
  3. Luc, chap. XXIII, v. 34.
  4. Talmud, traité Zebamoth, p. 79.