Page:Smith - Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations, Blanqui, 1843, I.djvu/385

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Au contraire, le marché pour la laine et les peaux crues, dans ces commencements informes, est bien rarement borné au pays qui les produit. La laine, sans qu’il soit besoin d’aucun apprêt, les peaux crues, avec fort peu d’apprêt, se transportent facilement dans les pays éloignés ; et comme ce sont les matières de beaucoup d’ouvrages de manufactures, l’industrie des autres pays peut donner lieu à une demande pour ces denrées, quand même celle du pays qui les produit n’en occasionnerait aucune.

Dans les pays mal cultivés et qui, par conséquent, ne sont que très-faiblement peuplés, le prix de la laine et de la peau est toujours beaucoup plus grand, relativement à celui de la bête entière, que dans les pays qui, étant plus avancés en richesse et en population, ont une plus grande demande de viande de boucherie. M. Hume observe que du temps des Saxons la toison était estimée valoir deux cinquièmes de la valeur de la brebis entière, et que cette proportion est fort au-dessus de l’estimation actuelle. On m’a assuré que dans quelques provinces d’Espagne il arrivait fréquemment de tuer une brebis uniquement pour avoir la toison et le suif ; on laisse le corps pourrir sur la terre, ou servir de pâture aux bêtes et aux oiseaux de proie. Si cela arrive quelquefois même en Espagne, c’est presque toujours le cas au Chili, à Buenos-Ayres et dans plusieurs autres endroits de l’Amérique espagnole, où on ne tue guère les bêtes à cornes que pour leur cuir et leur suif seulement. C’était aussi l’usage presque constant dans la partie espagnole et à Saint-Domingue, quand cette île était infestée par les boucaniers, et avant que l’établissement des colonies françaises, qui s’étendent maintenant autour des côtes de presque toute la moitié occidentale de cette île, eussent, par leur industrie et leur population, donné quelque valeur au bétail des Espagnols, qui sont encore en possession, non-seulement de la partie orientale de la côte, mais encore de toute la partie intérieure et des montagnes[1].

Quoique, dans l’avancement des arts et de la population, le prix de la bête entière s’élève nécessairement, cependant il est vraisemblable que cette hausse portera beaucoup plus sur le prix du corps de la bête que sur celui de la laine et de la peau. Le marché pour le corps de la bête, qui, dans l’état d’une civilisation ébauchée, se trouve toujours borné au pays qui la produit, doit nécessairement s’agrandir dans la

  1. Il est inutile de rappeler ici combien les temps sont changés. A. B.