Page:Smith - Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations, Blanqui, 1843, II.djvu/127

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pas la production du blé, parce que vous ne les mettez pas à même de faire subsister plus de monde ou d’employer plus d’ouvriers à cette production. La nature des choses a imprimé au blé une valeur réelle, à laquelle ne peuvent rien changer les révolutions quelconques de son prix en argent. Il n’y a pas de monopole pour la vente au-dedans, pas de prime pour l’exportation, qui aient la puissance de faire hausser cette valeur. La concurrence la plus libre ne saurait non plus la faire baisser. Par tout le monde, en général, cette valeur est égale à la quantité de travail qu’elle peut faire subsister, et dans chaque lieu du monde en particulier elle est égale à la quantité de travail auquel elle peut fournir une subsistance aussi abondante, ou aussi médiocre, ou aussi chétive qu’il est d’usage de la fournir au travail dans cette localité particulière. La toile ni les lainages ne sont pas, parmi les marchandises, le régulateur universel qui mesure et qui détermine, en dernier résultat, la valeur réelle de toute autre marchandise ; c’est le blé qui est ce régulateur[1]. La valeur réelle de toute autre marchandise se règle et se mesure définitivement sur la proportion qui se trouve exister entre son prix moyen en argent et le prix moyen du blé en argent. Au milieu de ces variations, qui arrivent quelquefois d’un siècle à l’autre, dans le prix moyen du blé en argent, la valeur réelle du blé reste immuable ; c’est la valeur réelle de l’argent qui suit le cours de ces variations[2].

  1. Le blé n’est pas une valeur invariable, parce que cette valeur est égale à la quantité de travail qu’elle peut entretenir. La valeur d’une denrée ou la faculté qu’elle a de s’échanger pour acheter du travail ou d’autres marchandises, est une qualité tout à fait différente de son utilité, c’est-à-dire de la propriété qu’elle a de satisfaire nos besoins et nos désirs. L’utilité, quoique élément essentiel de la valeur, n’est pas le principe qui la détermine ; elle dépend uniquement de la facilité ou de la difficulté de la production. Mac Culloch.
  2. Le prix des céréales varie, c’est-à-dire on donne pour la même quantité de blé plus ou moins d’argent, par suite de variations survenues dans la valeur de l’argent qui sert au payement du prix, ou par suite d’un changement dans la valeur des céréales mêmes. Une augmentation dans le prix des céréales n’implique pas nécessairement une baisse dans la valeur de l’argent ; bien que le docteur Smith regarde un changement dans la valeur réelle des céréales comme absolument impossible. Mais en réfléchissant sur le cas même auquel se rapporte l’argumentation du docteur Smith, c’est-à-dire en admettant que, par suite d’une exportation volontaire ou forcée, le prix îles céréales éprouve une hausse, ne paraît-il pas évident que la hausse dans le prix de cette quantité de céréales, qui reste dans le pays, provient tout simplement d’une augmentation de valeur, par suite de la diminution de la provision ? En affirmant qu’aucune exportation ne pourrait augmenter la valeur des céréales, le docteur Smith prétend-il établir que la prime accordée à l’exportation, tout en diminuant la provision, ne saurait contribuer en même temps à produire une hausse dans la valeur réelle des céréales ? Peut-il nier que la valeur réelle des céréales, ainsi que celle de toutes les marchandises, ne soit augmentée par une diminution de quantité ?

    L’assertion que la nature donne aux céréales une valeur inaltérable repose évidemment sur une erreur. Le docteur Smith confond ici l’utilité avec l’échange. Il est vrai qu’un boisseau de froment ne nourrit pas plus de personnes dans nos temps de disette que dans un temps d’abondance ; mais un boisseau de froment pourra être échangé contre une plus grande quantité d’objets de luxe ou de toute autre nature en temps de disette qu’en temps d’abondance ; et le propriétaire de terre qui aura de grandes provisions de grains, sera en définitive plus riche à une époque de disette qu’à une époque d’abondance. Il est donc impossible de soutenir que la prime, en favorisant l’exportation, ne produise pas en même temps une véritable hausse dans les prix. Buchanan.