Page:Smith - Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations, Blanqui, 1843, II.djvu/140

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ple que des inconvénients peu considérables en comparai­son des dangers qu’il aurait eus à courir si, dans le commencement de l’année, le marchand eût agi à son égard d’une manière plus généreuse[1]. Le marchand de blé est celui que cet excès d’avarice expose à en souffrir le plus, non-seulement à cause de l’indignation générale qu’elle excite contre lui, mais encore, en supposant qu’il échappe aux suites de cette indignation, à cause de la quantité de blé que sa cupidité lui laisse nécessairement sur les bras à la fin de l’année, et qu’il se verra obligé, si l’année suivante est favorable, de vendre à un prix beaucoup plus bas que celui qu’il aurait pu en retirer sans cela.

S’il était possible, à la vérité, qu’une compagnie de marchands vînt à se rendre maîtresse de la totalité de la récolte d’une grande étendue de pays, alors il pourrait bien être de son intérêt de faire de cette récolte ce qu’on dit que les Hollandais font des épiceries des Moluques, c’est-à-dire d’en jeter ou d’en détruire une partie consi­dérable, pour tenir le reste à haut prix. Mais il est presque impossible, même quand on abuserait pour cela de la force des lois, de venir à bout d’établir à l’égard du blé un monopole aussi étendu ; et toutes les fois que la loi laisse le commerce libre, c’est, de toutes les marchandises, celle qui est le moins sujette à pouvoir être accaparée ou mise en monopole à l’aide de gros capitaux et par des achats faits à l’avance. non-seulement sa valeur excède de beau­coup ce que les capitaux de quelques particuliers seraient jamais en état d’acheter, mais même, en supposant ces capitaux assez forts pour cela, la manière dont cette marchandise est produite rend un pareil achat absolument impraticable. Comme dans tout pays civilisé c’est la marchandise dont la consommation annuelle est la plus forte, aussi y a-t-il annuellement une plus grande quantité d’industries employées à la produire, qu’il n’y en a à produire toute autre marchandise. De plus, au moment où le blé est séparé de la terre, il se divise nécessairement entre un plus grand nombre de propriétaires que toute autre marchandise, et ces propriétaires ne peuvent jamais être rassemblés dans un lieu comme le seraient un nombre

  1. Adam Smith tombe ici dans l’optimisme exagéré que l’on est en droit de reprocher à l’un de ses commentateurs, M. Mac Culloch. C’est aller trop loin, que de prétendre que la cupidité du marchand de blé qui fait hausser le prix du blé au-dessus de son taux naturel, en prévision d’une disette, est une chose avantageuse a la masse du peuple. A. B.