Page:Smith - Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations, Blanqui, 1843, II.djvu/141

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de manufacturiers indépendants, mais ils sont nécessairement disséminés dans tous les différents coins du pays. Ces premiers propriétaires de blé, ou fournissent immédiatement les consommateurs de leur voisinage, ou fournissent d’autres vendeurs de blé dans l’intérieur, qui fournissent ces consommateurs. Par conséquent, les vendeurs de blé dans l’intérieur, y compris le fermier ainsi que le boulanger, sont nécessairement plus nombreux que les vendeurs de toute autre denrée, et la manière dont ils sont dispersés rend absolument chimérique toute possibilité d’une ligue générale entre eux. Ainsi, si, dans une année de disette, quelqu’un d’eux venait à s’apercevoir qu’il eût par-devers lui une plus grande quantité de blé qu’il ne pourrait espérer d’en débiter au prix courant avant la fin de l’année, il ne s’aviserait jamais de chercher à maintenir le prix élevé à son propre détriment et pour le bénéfice seul de ses rivaux et de ses concurrents ; mais, au contraire, il le ferait aussitôt baisser, pour pouvoir se défaire de tout son blé avant la rentrée de la nouvelle récolte. Les mêmes motifs, le même intérêt qui régleraient ainsi la conduite de ce vendeur, régleraient pareillement celle de tout autre, et les obligeraient tous, en général à vendre leur blé au prix qui, d’après le meilleur jugement qu’ils en pourraient porter, s’accorderait le mieux avec l’état de disette ou l’abondance de la saison.

Quiconque examinera avec attention l’histoire des chertés et des famines qui ont affligé quelques parties de l’Europe, pendant le cours de ce siècle ou des deux précédents, sur plusieurs desquelles nous avons des renseignements fort exacts, trouvera, je crois, qu’une cherté n’est jamais venue d’aucune ligue entre les vendeurs de blé de l’intérieur, ni d’aucune autre cause que d’une rareté réelle du blé[1] occasionnée peut-être quelquefois, et dans quelques lieux particuliers, par les ravages de la guerre, mais dans le plus grand nombre des cas, sans comparaison, par les mauvaises années ; tandis qu’une famine n’est jamais provenue d’autre cause que des mesures violentes du gouvernement et des moyens impropres employés par lui pour tâcher de remédier aux inconvénients de la cherté.

  1. Il faut excepter les disettes qui ont précédé et accompagné la Révolution française. À ces deux époques, le fait d’accaparement existait avec toutes les circonstances les plus odieuses qu’on lui impute le plus souvent à tort. A. B.