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Page:Smith - Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations, Blanqui, 1843, II.djvu/219

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C’est principalement dans les progrès des colonies de l’Amérique septentrionale que se font remarquer les avantages du système politique de l’Angleterre. Le progrès des îles à sucre de la France a été au moins égal, peut-être même supérieur à celui de la plupart des îles à sucre de l’Angleterre, et celles-ci cependant jouissent d’un gouvernement libre, de même nature à peu près que celui qui existe dans les colonies anglaises de l’Amérique septentrionale. Mais on n’a pas, dans les îles à sucre de la France, découragé la raffinerie de leurs produits, comme on l’a fait dans celles de l’Angleterre ; et ce qui est encore d’une bien plus grande importance, la nature du gouvernement des îles françaises y amène naturellement un meilleur régime à l’égard des nègres esclaves.

Dans toutes les colonies européennes, la culture de la canne à sucre se fait par des esclaves noirs. On suppose que la constitution des hommes nés dans le climat tempéré de l’Europe ne pourrait pas supporter la fatigue de remuer la terre sous le ciel brûlant des Indes occidentales ; et la culture de la canne à sucre, telle qu’elle est dirigée à présent, est tout entière un travail de main, quoique, dans l’opinion de beaucoup de monde, on pourrait y introduire, avec de grands avantages, l’usage de la charrue. Or, de même que le profit et le succès d’une culture qui se fait au moyen de bestiaux dépend extrêmement de l’attention qu’on a de les bien traiter et de les bien soigner, de même, le produit et le succès d’une culture qui se fait au moyen d’esclaves doit dépendre également de l’attention qu’on apporte à bien les traiter et à les bien soigner ; et du côté des bons traitements envers leurs esclaves, c’est une chose, je crois, généralement reconnue, que les planteurs français l’emportent sur les Anglais. La loi, en tant qu’elle peut donner à l’esclave quelque faible protection contre la violence du maître, sera mieux exécutée dans une colonie où le gouvernement est en grande partie arbitraire, que dans une autre où il est totalement libre. Dans un pays où est établie la malheureuse loi de l’esclavage, quand le magistrat veut protéger l’esclave, il s’immisce jusqu’à un certain point dans le régime de la propriété privée du maître ; et dans un pays libre, où le maître est peut-être un membre de l’assemblée coloniale ou un électeur des membres de cette assemblée, il n’osera le faire qu’avec la plus grande réserve et la plus grande circonspection. La considération et les égards auxquels il est tenu envers le maître rendent plus difficile pour lui la protection de l’esclave. Mais dans un pays où le gouvernement est en grande partie arbitraire, où il est ordinaire que le magis-