Page:Smith - Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations, Blanqui, 1843, II.djvu/337

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duit annuel des terres et du travail de la société. Pendant qu’il a consommé une demi-année de revenu valant 10 livres en blé et autres denrées de première nécessité, il a en même temps produit une valeur égale en ouvrage, laquelle peut acheter pour lui ou pour quelque autre personne une pareille demi-année de revenu. Par conséquent, la valeur de ce qui a été tant consommé que produit pendant ces six mois, est égale non à 10, mais à 20 livres. Il est possible, à la vérité, que, de cette valeur, il n’en ait jamais existé, dans un seul instant, plus de 10 livres en valeur à la fois. Mais si les 10 livres vaillant, en blé et autres denrées de nécessité qui ont été consommées par cet artisan, eussent été consommées par un soldat ou par un domestique, la valeur de la portion existante du produit annuel, au bout de ces six mois, aurait été de 10 livres moindre de ce qu’elle s’est trouvée être, en conséquence du travail de l’ouvrier. Ainsi, quand même ou supposerait que la valeur produite par l’artisan n’est jamais, à quelque moment que ce soit, plus grande que la valeur par lui consommée[1], cependant la valeur totale des marchandises actuellement existantes sur le marché, à quelque moment qu’on la prenne, se trouve être, en conséquence de ce qu’il produit, plus grande qu’elle ne l’aurait été sans lui.

Quand les champions de ce système avancent que la consommation des artisans, manufacturiers et marchands est égale à la valeur de ce qu’ils produisent, vraisemblablement ils n’entendent pas dire autre chose, sinon que le revenu de ces ouvriers ou le fonds destiné à leur subsistance est égal à cette valeur. Mais, s’ils s’étaient exprimés avec plus d’exactitude et qu’ils eussent seulement soutenu que le revenu de cette classe était égal à ce qu’elle produisait, alors il serait venu tout aussitôt à l’idée du lecteur que ce qui peut naturellement être épargné sur ce revenu doit nécessairement augmenter plus ou moins la richesse réelle de la société. Afin donc de pouvoir faire sortir de leur

  1. A. Smith, bien que d’accord avec les économistes sur le point capital, à savoir sur la prééminence de l’agriculture sur les autres industries, parait indécis et faible quand il combat les autres parties de leurs doctrines. Dans son raisonnement pour prouver que le travail de l’artisan est un travail productif, il admet, ainsi que les économistes, que ce travail ne puisse jamais augmenter le capital national ; mais il soutient en même temps qu’il est plus productif que celui des domestiques, qui consomment sans produire.

    Les économistes peuvent facilement admettre ce dernier point, sans renoncer pour cela à leur dogme favori, qui ne reconnaît que le sol comme source unique de tout revenu et comme seule matière imposable. Il est singulier qu’Adam Smith, qui a si bien expliqué comment la division du travail amène l’augmentation du capital national, n’ait pas, dans sa doctrine, mieux attaqué ces idées des économistes ; il aurait, sans aucun doute, donné la meilleure réfutation de leur doctrine. Par l’amélioration dé l’industrie, par suite de la division du travail et de l’emploi des machines, les produits fabriqués sont devenus à très-bon marché, ce qui procure de l’avantage à la communauté. Mais c’est précisément la circonstance de ce bon marché qui diminue la Valeur des manufactures aux yeux des économistes, toujours embarrassés dans leurs idées d’un surcroit de production ; ils ne s’aperçoivent pas que, par la raison même que les manufactures ne donnent point ce surcroît, ou, en d’autres termes, par la raison même qu’elles produisent a bon marché, elles doivent tourner à l’avantage de la communauté. Si leur produit net était plus considérable, des particuliers pourraient bien s’enrichir, mais la communauté en tirerait des bénéfices moins grands. Buchanan.