Page:Smith - Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations, Blanqui, 1843, II.djvu/357

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geron, un charpentier, un tisserand, par exemple, quitte son atelier, la source unique de son revenu est totalement arrêtée. La nature ne travaille pas pour lui ; il faut qu’il fasse tout par ses mains. Ainsi, quand il prend les armes pour la défense de l’État, n’ayant aucun revenu pour se soutenir, il faut bien qu’il soit entretenu aux frais de l’État. Or, dans un pays où une grande partie des habitants sont artisans et manufacturiers, c’est nécessairement de ces classes qu’est tirée une grande partie des gens qui portent les armes et, par conséquent, il est indispensable que l’État les entretienne pendant tout le temps qu’ils sont employés à son service.

D’un autre côté, quand l’art de la guerre est devenu, par degrés, une science difficile et compliquée ; quand le sort des armes n’a plus été déterminé, comme dans les premiers temps, par une seule bataille ou plutôt une mêlée sans règle et sans ordre ; mais quand une guerre vint à se prolonger pendant plusieurs campagnes, chacune desquelles durait la plus grande partie de l’année, alors ce fut partout une nécessité absolue que l’État entretînt ceux qui s’armaient pour sa défense, au moins pendant le temps qu’ils étaient employés à ce service. Quelle que pût être, en temps de paix, l’occupation de ceux qui faisaient la guerre, un service si long et si dispendieux eût été pour eux une charge infiniment trop lourde. Aussi, après la seconde guerre de Perse, les armées d’Athènes semblent avoir été composées, en général, de troupes mercenaires, dont partie, à la vérité, étaient des citoyens, mais partie aussi des étrangers, et tous également soldés et défrayés par l’État. Depuis le siège de Véïes, les armées romaines reçurent une paie pour leur service pendant le temps qu’elles restaient sous les drapeaux. Dans les gouvernements soumis aux lois féodales, le service militaire, tant des grands seigneurs que de leurs vassaux immédiats, fut, après un certain espace de temps, changé partout en une contribution pécuniaire destinée à l’entretien de ceux qui servaient à leur place.

Le nombre de ceux qui peuvent aller à la guerre relativement à la population totale est nécessairement beaucoup moindre dans un État civilisé que dans une société encore informe. Dans une société civilisée, les soldats étant entretenus en entier par le travail de ceux qui ne sont pas soldats, le nombre des premiers ne peut jamais aller au-delà de ce que les autres sont en état d’entretenir, en outre de ce qu’ils sont encore obligés de faire pour fournir tant à leur entretien qu’à celui des autres officiers civils, convenablement à ce qu’exige la condi-