Page:Smith - Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations, Blanqui, 1843, II.djvu/359

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occupation d’une classe particulière de citoyens. Tout sujet de l’État, quelque pût être le métier ou l’occupation ordinaire dont il tirait sa subsistance, se regardait aussi, en toutes circonstances, comme soldat et comme obligé à en faire le métier dans les occasions extraordinaires.

Cependant, l’art de la guerre étant, sans contredit, le plus noble de tous[1], devient naturellement, à mesure de l’avancement de la société, l’un des arts les plus compliqués. Les progrès de la mécanique, aussi bien que celui d’autres arts avec lesquels il a une liaison nécessaire, déterminent le degré de perfection auquel il est susceptible d’être porté à une époque quelconque ; mais, pour qu’il atteigne jusqu’à ce point, il est indispensable qu’il devienne la seule ou la principale occupation d’une classe particulière de citoyens, et la division du travail n’est pas moins nécessaire au perfectionnement de cet art qu’à celui de tout autre. Dans les autres arts, la division du travail est l’effet naturel de l’intelligence de chaque individu, qui lui montre plus d’avantages à se borner à un métier particulier qu’à en exercer plusieurs ; mais c’est la prudence de l’État qui seule peut faire du métier de soldat un métier particulier, distinct et séparé de tous les autres. Un simple citoyen qui, en temps

  1. Sous quel rapport l’art de la guerre peut-il être appelé le plus noble des arts ? La guerre, sans doute, développe toutes ces grandes qualités de l’âme qui étonnent et éblouissent les hommes ; mais elle n’ouvre pas la même carrière aux facultés de l’esprit. La théorie de la guerre est bientôt apprise, et sa pratique n’offre point de difficultés, l’esprit restant calme et pouvant exécuter facilement ce qu’il a saisi sans effort. Sous ce rapport donc, l’art de la guerre ne sera pas le plus noble des arts ; et quand on considère qu’il fait couler le sang par torrents et qu’il porte partout la misère et la destruction, on n’hésitera pas, en exceptant seulement le cas de défense, à le regarder comme atroce et barbare. La guerre, le mépris du danger, et la hardiesse seront toujours populaires ; mais qu’y a-t-il, sous ces dehors de générosité et de grands sentiments, de réellement admirable dans le caractère d’un soldat, qui ne fait que marcher aveuglément à la suite d’un chef victorieux, victime lui-même de son ambition, et sans égards pour les malheurs qui accompagnent ses triomphes ? En réfléchissant que la gloire du soldat naît des souffrances de l’humanité, il nous parait douteux qu’on puisse applaudir à un art qui ne s’exerce que par la destruction de la félicité humaine. Gibbon remarque avec justesse que, tant que les hommes exalteront plutôt ceux qui les écrasent que leurs véritables bienfaiteurs, la guerre sera toujours considérée comme le chemin de la gloire. Buchanan.