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Page:Smith - Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations, Blanqui, 1843, II.djvu/360

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de paix et sans recevoir de l’État aucun encouragement, passerait en exercices militaires la plus grande partie de sa journée, pourrait sans doute se perfectionner beaucoup en ce genre et se procurer un divertissement très-noble ; mais à coup sûr ce ne serait pas un moyen de faire ses affaires. Si c’est pour lui une voie à l’avancement et à la fortune que de consacrer à cette occupation une grande partie de son temps, ce ne peut être que par l’effet de la sagesse de l’État ; et cette sagesse, les États ne l’ont pas toujours eue, même quand ils se sont vus dans une situation où la conservation de leur existence exigeait qu’ils l’eussent[1].

Un pasteur de troupeaux a beaucoup de moments de loisir ; un cultivateur, dans l’état informe de la culture, en a quelques-uns ; un artisan ou ouvrier de manufacture n’en a pas du tout. Le premier peut, sans se faire tort, consacrer une grande partie de son temps à des exercices militaires ; le second peut y donner quelques heures ; mais le dernier ne peut pas employer ainsi un seul de ses moments sans éprouver quelque perte, et le soin de son intérêt personnel le conduit naturellement à abandonner tout à fait ces exercices. Les progrès de l’art du labourage, qui nécessairement viennent à la suite de ceux des autres arts et des manufactures) laissent bientôt au laboureur aussi peu de moments de loisir qu’à l’artisan. Les exercices militaires finissent

  1. Les opinions émises dans ce paragraphe sont, comme il est facile de le croire, sans aucun fondement. Nous avons déjà essayé de démontrer qu’il n’y a pas de motifs pour admettre que les agriculteurs sont plus intelligents que les travailleurs employés dans les manufactures et dans le commerce, et que l’intelligence de ces derniers souffre de ce que, par suite de la division du travail dans les fabriques, ils sont obligés de faire toujours la même chose. C’est précisément le contraire qui a lieu. La population des manufactures est généralement plus instruite que celle des campagnes, et son intelligence s’est développée en raison de l’accroissement du nombre et de la plus grande division du travail. L’idée que le travail dans les manufactures détruit chez les hommes les vertus sociales et militaires est plus fausse encore. Les villes et les pays, dans les temps anciens et modernes, qui ont été les plus avancés dans les arts de l’industrie et du commerce, se sont en même temps le plus distingués par leur patriotisme et leur courage. Il n’est pas nécessaire de sortir de l’Angleterre pour trouver des preuves irrécusables des erreurs contenues dans ce paragraphe. Nos manufactures ont atteint un développement inouï pendant les derniers cinquante ans ; et la division du travail est poussée plus loin en Angleterre que dans les autres pays ; mais, bien que le gouvernement n’ait rien fait pour son instruction, peut-on dire que la population des fabriques soit devenue stupide et ignorante ? Que les hommes travaillant dans la manufacture soient moins capables que ceux des campagnes de connaître les intérêts du pays, et qu’ils seraient incapables de le défendre en cas de guerre ? Toutes ces assertions sont sans aucun fondement. C’est un de ces cas très-rares où le jugement d’Adam Smith s’est laissé influencer par d’anciens préjugés : il aurait dû savoir que le régiment de chevau-légers du général Elliot, qui s’est tant distingué pendant la guerre de Sept Ans, a été en grande partie composé des tailleurs de la capitale. Quant à l’observation que les manufactures affaiblissaient les forces physiques et militaires, il suffit de rappeler que, pendant la dernière guerre, ce furent les villes manufacturières et commerçantes qui fournissaient les contingents de troupes les plus considérables. Des faits de cette importance prouvent, au delà de toute contestation, que, quels que puissent être les changements introduits dans les mœurs de notre nation, nos troupes sont aussi capables que jamais de supporter des fatigues et de montrer du courage et de la résolution. Mac Culloch.