Page:Smith - Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations, Blanqui, 1843, II.djvu/441

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Dans tout âge et dans tout pays du monde, les hommes ont dû observer avec attention les caractères, les intentions et les actions les uns des autres, et il a dû s’établir un grand nombre de règles ou de préceptes recommandables pour la conduite de la vie humaine, et consacrés par l’approbation générale. Dès que l’écriture se fut répandue, les hommes sages, ou ceux qui s’imaginaient l’être, cherchèrent naturellement à augmenter le nombre de ces maximes généralement établies et respectées, et à exprimer leur propre sentiment sur ce qui était convenable ou ne l’était pas dans la conduite des hommes. Tantôt ils l’exprimèrent sous la forme plus adroite d’apologues, comme ce qu’on a appelé les Fables d’Ésope ; tantôt sous la forme plus simple d’apophtegmes ou de paroles sages, comme les Proverbes de Salomon, les Vers dorés de Théognis et de Procylide, et une partie des ouvrages d’Hésiode. Ils ont pu continuer ainsi pendant longtemps à multiplier simplement le nombre de ces maximes de prudence ou de moralité, sans chercher même à les arranger dans un ordre méthodique ou très-distinct, encore bien moins à les lier entre elles par un ou plusieurs principes généraux dont elles pussent toutes se déduire, comme des effets se déduisent de leurs causes naturelles. La beauté de l’arrangement systématique de différentes observations, liées par un petit nombre de principes qui leur sont communs, se fit voir pour la première fois dans les essais informes imaginés dans ces anciens temps pour arriver à un système d’histoire naturelle. Par la suite, on essaya en morale quelque chose du même genre. On arrangea les préceptes du corps ordinaire de la vie dans un ordre méthodique, et on les lia ensemble par un petit nombre de principes généraux, de la même manière qu’on avait tâché d’arranger et de lier les phénomènes de la nature. La science qui se propose de rechercher et d’expliquer les principes généraux auxquels se lient les maximes particulières est ce qu’on appelle proprement la philosophie morale[1].

  1. La morale est plutôt l’affaire du sentiment que du raisonnement, et il n’est pas facile de voir quelle influence la philosophie pourrait exercer sur elle. Car le philosophe, que peut-il expliquer que nous ne sachions déjà ?
    Si nous étendons le champ de la morale jusqu’aux opérations de l’esprit, nous avons, sans aucun doute, un plus vaste espace ouvert à des recherches subtiles et ingénieuses. Il est agréable de scruter les facultés de notre âme et de tracer les lignes qui lient les différentes sensations entre elles. Mais une pareille étude ne mérite pas le nom de science, puisqu’elle n’apporte aucun résultat nouveau. La science de l’âme (psychologie), comme on l’appelle maintenant, a été trop vantée par les philosophes modernes, et on avait les espérances les plus exagérées de son influence sur la société et la vie. Mais il est évident que les maux qui affectent le monde viennent des imperfections de la nature humaine, trop profondes pour être modifiées ou éloignées par ces spéculations bizarres. C’est l’égoïsme naturel à l’homme qui, en le poussant à chercher son bien-être par tous les moyens possibles, empêche la perfection de la société. L’homme se trompe, non par ignorance, mais en dépit de ses connaissances ; et, pour le corriger de ses fautes, il faut moins éclairer son esprit qu’améliorer son cœur. Mais comment produire un pareil effet ? On croyait que la philosophie fournirait quelque moyen d’action nouveau pour empêcher les hommes de s’abandonner à leurs mauvais penchants. Mais pouvons-nous supposer que, par une simple analyse de ses facultés, l’homme deviendra un être nouveau ! Si cela ne peut pas avoir lieu, toutes les améliorations auxquelles s’attendaient les admirateurs de cette science ne seront qu’imaginaires : l’égoïsme continuera d’être le moteur principal de toutes les actions. La fraude, la violence, la cruauté continueront de régner, et la société sous les dehors de l’ordre, vue de près, se présentera sous de bien noires couleurs. — On peut ajouter encore. : tandis que dans les sciences naturelles les progrès de nos connaissances sont manifestes, et qu’il nous est possible de marquer les points que de nouvelles investigations ont éclaircis, la philosophie ou la métaphysique ne s’est enrichie d’aucune nouvelle découverte. Ses partisans parlent beaucoup de ce que dans l’avenir elle est appelée à produire, mais ils gardent le silence sur ce qu’elle a produit dans le passé ; et, si nous devons juger de l’avenir par le passé, notre foi dans les améliorations futures n’est rien moins que solide. Buchanan.