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Page:Smith - Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations, Blanqui, 1843, II.djvu/514

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pour le peuple, à proportion du revenu qu’ils rendaient au prince, qu’elles ont pu l’imaginer. L’examen qui suit, dans lequel nous passerons très-succinctement en revue quelques-uns des principaux impôts qui ont eu lieu en différents temps et en différents pays, fera voir que les efforts de toutes les nations à cet égard ne leur ont pas également bien réussi.


ARTICLE I.
Impôts sur les rentes de terres et loyers de maisons.
§I. Impôts sur les rentes de terres.


Un impôt sur le revenu territorial peut être établi d’après un cens fixe, chaque district étant évalué à un revenu quelconque, dont l’évaluation ne doit plus changer par la suite ; ou bien il peut être établi de manière à suivre toutes les variations qui peuvent survenir dans le revenu réel de la terre, c’est-à-dire, de manière à monter ou baisser avec l’amélioration ou le dépérissement de sa culture[1].

  1. L’impôt foncier qui consisterait en une somme d’argent fixe et invariable assise sur chaque fonds de terre dans la proportion de son produit moyen et ordinaire, d’après une évaluation une fois faite, présente ce grand avantage, que le propriétaire du fonds ainsi imposé n’est pas détourné de faire des amendements et améliorations sur sa terre par la crainte que le fisc ne lui enlève une partie des surcroîts de produit dont ces améliorations auront été la cause. Aussi cette considération a-t-elle séduit beaucoup de gens ; et, de nos jours, il semble que l’opinion la plus généralement répandue est celle qui préfère ce mode d’impôt à tout autre. L’Assemblée Nationale, qui fut réunie en France en 1789, était fortement préoccupée de cette idée, lorsque, changeant les formes établies jusqu’alors pour l’assiette de l’impôt foncier, elle jugea à propos de fixer à 240 millions le total de la contribution foncière qu’elle croyait devoir être levée sur la France, dont le produit net avait été évalué à cinq fois cette somme.

    Ce contingent général une fois fixé, elle décréta qu’il serait réparti entre les divers départements et districts qui divisaient le territoire du royaume. Mais la nature n’a pas réparti la richesse foncière d’une manière uniforme sur la surface de la France ; et pour juger dans quel rapport la richesse territoriale d’un département en particulier était à la richesse totale du royaume, il aurait fallu des informations locales et des connaissances positives dont les premiers éléments étaient encore à chercher. Aussi la répartition présenta-t-elle les inégalités les plus choquantes : tel département se trouva grevé au sixième, tel autre au seizième ou dix-septième de son produit net ; et, après trente ans, ce désordre subsistait encore, quelques moyens qu’on ait mis en œuvre pour y remédier. On a cru devoir recourir à un arpentage et à une évaluation générale des propriétés, mais cette entreprise gigantesque, qui avait déjà dévoré 40 millions, a donné des résultats si défectueux qu’on a été forcé de l’abandonner. Cet exemple, joint à tant d’autres, concourt à démontrer combien il serait difficile de concilier la fixité de l’impôt avec une égalité tant soit peu tolérable.

    Mais, indépendamment même de cette considération, Adam Smith n’adopte point cette fixité de l’impôt, et présente d’autres objections qui la font rejeter. Il reconnaît l’avantage d’encourager le propriétaire à faire ses améliorations, en le débarrassant de tout partage avec le fisc, mais il pense aussi qu’il n’est pas bon de pousser cette mesure au point de rendre le souverain totalement désintéressé dans l’amélioration future des terres, et presque étranger aux progrès de l’agriculture dans ses États. Il regarde, au contraire, comme très-politique d’attirer l’attention du prince, par la vue de son propre intérêt, vers toutes les mesures propres à favoriser l’accroissement du revenu territorial. Il observe de plus que, dans une longue suite d’années, l’argent peut éprouver des variations dans sa valeur, ou la monnaie subir des changements ; ce qui mettrait l’impôt fixe au-dessous ou au-dessus de la limite dans laquelle on aurait eu l’intention de le circonscrire. Au reste, il propose (pag. 511) un moyen simple et facile d’obtenir tout l’avantage qu’on recherche dans la fixité de l’impôt ; ce serait d’affranchir de toute augmentation d’impôt, pour un certain nombre d’années, le propriétaire qui aurait déclaré l’intention où il serait de faire sur sa terre des améliorations.

    La fixité de l’impôt présente encore une autre sorte d’inconvénient bien plus grave, que Smith n’a pas dû prévoir, et dont, après lui, les finances d’Angleterre ont fourni un exemple. L’impôt, ainsi converti en une redevance fixe, perd son véritable caractère, qui est celui d’un tribut annuel d’une portion du produit, d’un sacrifice momentané et volontaire, d’un secours accordé à l’État par les propriétaires ; il prend la forme d’une rente foncière ou cens perpétuel que le gouvernement est bientôt porté à considérer comme une propriété domaniale. Il n’y a qu’une telle illusion qui a pu déterminer M. Pitt, en 1798, à proposer au Parlement une des mesures les plus iniques et les plus attentatoires au droit sacré de la propriété, en faisant passer une loi qui oblige chaque propriétaire foncier à racheter la taxe foncière dont sa terre était grevée, à raison de vingt années de cette taxe, et six, dans un terme de cinq années ; et, à faute de faire, dans le temps prescrit, ses offres de rachat, autorise les commissaires nommés à cet effet, à mettre en vente ce prétendu capital. Toute personne a été admise à acquérir, et en vertu d’une telle acquisition, ce tiers acquéreur a pu devenir créancier privilégié du montant de la taxe annuelle, comme d’une rente réelle, foncière et perpétuelle, qui aurait été créée sur le fonds.

    Le résultat de cette opération n’a été, en définitive, autre chose qu’une taxe ou subvention extraordinaire, levée sur les propriétaires fonciers, pour être employée au remboursement d’une partie de la dette publique. Le propriétaire qui a fourni ses deniers pour ce rachat n’a point libéré son domaine de la charge à jamais inhérente à la propriété foncière, la charge de contribuer directement ou indirectement aux besoins présents et futurs du gouvernement, de la protection duquel elle tient toute sa valeur. Cette condition est inséparablement attachée à la qualité de propriétaire, et on ne pourrait les disjoindre sans ébranler tous les fondements de l’édifice politique. Aussi, dès l’année qui suivit celle dans laquelle fut porté l’acte de rachat de la rente foncière, il fut établi une taxe sur les revenus, qui n’était qu’une véritable taxe foncière, pour la partie que les propriétaires de terre eurent à supporter dans ce nouvel impôt

    . Garnier.