Page:Smith - Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations, Blanqui, 1843, II.djvu/552

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dérable, elle aurait écrasé les petits marchands, et mis par force tout le commerce dans les mains des gros. La concurrence des premiers étant écartée, les derniers auraient joui d’un monopole dans leur commerce, et, comme les autres monopoleurs, ils se seraient bientôt ligués entre eux pour élever leurs profits beaucoup au-delà de ce qui eût été nécessaire pour le payement de la taxe. Le payement définitif de cette taxe, au lieu de tomber sur le maître de la boutique, serait retombé sur le consommateur, avec une surcharge considérable au profit du maître de la boutique. Ces raisons firent rejeter le projet de la taxe sur les boutiques, à la place de laquelle on établit le subside de 1759[1].

Ce qu’on appelle en France la taille personnelle est peut-être l’impôt le plus important qui soit levé dans aucun lieu de l’Europe sur les profits des capitaux placés dans l’agriculture.

Dans l’état de désordre où était l’Europe sous l’empire du gouvernement féodal, le souverain était obligé de se contenter d’imposer ceux qui étaient trop faibles pour se refuser au payement de l’impôt. Les grands seigneurs, quoique disposés à lui prêter secours dans des occasions particulières, n’entendaient pas s’assujettir à un impôt permanent, et il n’était pas assez fort pour les y contraindre. Les cultivateurs des terres, par toute l’Europe, étaient pour la plupart originairement des serfs. Dans la plus grande partie de l’Europe, ils furent affranchis peu à peu. Quelques-uns d’eux acquirent la propriété de certaines terres qu’ils tinrent en roture ou à autre titre servile, quelquefois relevant du roi, quelquefois relevant de quelque autre grand seigneur, comme en relevaient en Angleterre nos anciens tenants-par-copie[2]. D’autres, sans acquérir la propriété, obtinrent des baux à longs termes des terres qu’ils cultivaient pour leur seigneur, et par là ils se trouvèrent moins dépendants de lui. Il semble que l’orgueil des grands seigneurs ait vu d’un œil chagrin et envieux le degré d’indépendance et de prospérité auquel cette classe d’hommes était venue à bout de s’élever, et ils con-

  1. En 1786, M. Pitt essaya d’établir une taxe sur les boutiques, graduée sur le loyer ; elle excita de grands murmures, et on fut obligé de la révoquer en 1789.
  2. Copy-holders, ainsi nommés parce qu’ils possédaient sans titre direct, et que leur droit n’était fondé que sur la prescription et la coutume locale ; qu’ainsi, pour justifier de ce droit, ils se faisaient délivrer copie ou extrait des registres de leur baron, ce qui attestait, 1° l’ancienneté de leur possession ; 2° la nature et quotité des services auxquels ils étaient tenus par la coutume de la baronie.