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Page:Smith - Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations, Blanqui, 1843, II.djvu/658

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ment de ce genre aggrave le plus souvent la perte des créanciers de l’État au lieu de le soulager ; et sans aucun avantage pour le public, il étend la plaie sur un grand nombre d’autres personnes qui ne devraient y être pour rien. Il cause dans les fortunes des particuliers une subversion générale et de l’espèce la plus funeste, en enrichissant le plus souvent le débiteur fainéant et dissipateur, aux dépens du créancier industrieux et économe, et en ôtant une grande partie du capital national aux mains qui auraient pu l’augmenter et le faire prospérer, pour le faire passer dans celles qui sont les plus propres à le dissiper et à l’anéantir. Quand un État se trouve réduit à la nécessité de faire banqueroute, tout comme quand un particulier s’y trouve réduit, une banqueroute franche, ouverte et déclarée est toujours la mesure qui est la moins déshonorante pour le débiteur, et en même temps la moins nuisible au créancier. À coup sûr, l’honneur de l’État est fort mal mis à couvert quand, pour déguiser la disgrâce d’une véritable banqueroute, il a recours à une misérable jonglerie de cette espèce, qu’il est si aisé à tout le monde d’apercevoir, et qui en même temps a les suites les plus pernicieuses.

Cependant presque tous les États, les anciens comme les modernes, quand ils se sont vus réduits à une telle nécessité, ont fait ressource de ce vrai tour d’escamotage. Les Romains, à la fin de la première guerre punique, réduisirent l’as (qui était la monnaie ou la dénomination par laquelle ils évaluaient toutes les autres monnaies), de douze onces de cuivre qu’il contenait, à deux onces seulement, c’est-à-dire qu’ils élevèrent deux onces de cuivre à une dénomination qui avait toujours exprimé auparavant la valeur de douze onces. La république se trouvait, par ce moyen, à même de Payer les dettes énormes qu’elle avait contractées, avec un sixième seulement de ce qu’elle devait réellement. Nous serions aujourd’hui assez disposés à croire qu’une banqueroute aussi forte et aussi subite aurait dû causer les plus violentes clameurs populaires. Il ne paraît pas cependant qu’elle en ait occasionné aucune. La loi qui porta cette banqueroute fut, comme toutes les autres lois relatives aux monnaies, proposée et soutenue par un tribun, qui la fit passer dans une assemblée du peuple, et ce fut probablement une loi très-populaire. À Rome, comme dans toutes les autres républiques anciennes, les pauvres étaient perpétuellement endettés envers les riches et les grands, qui pour s’assurer des suffrages aux élections annuelles, avaient coutume de leur prêter de l’argent à un