Page:Smith - Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations, Blanqui, 1843, II.djvu/71

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sent, par cet événement, privés d’emploi et de subsistance. Lors de la réduction de l’armée et de la marine, à la fin de la dernière guerre, plus de cent mille soldats et gens de mer, nombre égal à ce qu’emploient les espèces de manufactures les plus étendues, furent tous à la fois déplacés de leur emploi ordinaire ; mais quoiqu’ils en aient eu sans doute à souffrir un peu, ils ne se trouvèrent pas pourtant dénués de toute occupation et de moyens de subsistance. La majeure partie des gens de mer entrèrent successivement au service des vaisseaux marchands, à mesure qu’ils purent en trouver l’occasion, et en même temps eux et les soldats se fondirent dans la masse du peuple, s’adonnèrent à une foule de professions diverses. Un si grand changement dans le sort de plus de cent mille hommes, tous accoutumés au maniement des armes, et plusieurs d’entre eux à la rapine et au pillage, n’entraîna non-seulement aucune convulsion dangereuse, mais même de désordre sensible. À peine s’aperçut-on quelque part que le nombre des vagabonds en eût augmenté ; les salaires mêmes du travail n’en souffrirent de réduction dans aucune profession, autant que j’ai pu le savoir, excepté dans celle de matelot au service du commerce. Mais si nous comparons les habitudes d’un soldat et celles d’un ouvrier de manufacture quelconque, nous trouverons que celles du dernier ne tendent pas autant à le rendre impropre à un nouveau métier, que celles de l’autre à le rendre impropre a toute espèce de travail. L’ouvrier a toujours été accoutumé à n’attendre sa subsistance que de son travail ; le soldat, à l’attendre de sa paye. L’industrie et l’assiduité doivent être familières à l’un ; la fainéantise et la dissipation à l’autre. Or, il est certainement beaucoup plus aisé de changer la direction de l’industrie d’une espèce de travail à une autre, que d’amener la dissipation et la fainéantise à une occupation quelconque. D’ailleurs, comme nous l’avons déjà remarqué[1], la plupart des manufactures ont d’autres branches de travail manufacturier collatérales, qui ont avec elles tant de similitude, qu’un ouvrier peut aisément transporter son industrie de l’une à l’autre. Et puis, la plupart de ces ouvriers ainsi réformés trouvent accidentellement de l’emploi dans les travaux de la campagne. Le capital qui les mettait en œuvre auparavant dans une branche particulière de manufactures restera toujours dans le pays pour y employer un pareil

  1. Tome I, livre I, chap. x.