Page:Société de Saint-Augustin - Album des missions catholiques.djvu/135

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

que, dans notre beau pays de France, les coquins ne gagnent pas leur vie et que ce sont les honnêtes gens qui sont obligés de les nourrir.

Quant au ministère des Âmes sur ces établissements, il est bien peu consolant. L’influence des aumôniers a été diminuée autant qu’on a pu le faire, sans les supprimer ; et liberté pleine et entière est accordée aux transportés, non pas d’accomplir leurs devoirs religieux, mais de ne pas les accomplir. Depuis bon nombre d’années d’ailleurs, il n’y a plus que des Arabes, des Noirs et des Annamites qui soient envoyés à la Guyane.

Quoi qu’il en soit, Saint-Laurent, malgré sa décadence, offre encore un joli aspect. C’est un établissement bien situé, bien bâti, bien aéré ; c’est l’emplacement d’une belle ville, mais on ne crée pas des villes avec des règlements d’administration et des surveillants militaires.

Peuplades de l’intérieur. — En 1886 le R.P.Brunetti remonta le cours de la rivière Mana jusqu’à 300 kilomètres dans l’intérieur et fit connaissance avec différentes peuplades.

Le quatrième dimanche de Carême, il eut la consolation de baptiser un Grand Man (grand chef) avec toute sa famille.

« Grande et touchante cérémonie ce matin, écrit-il dans son journal de voyage à la date du 4 avril. Notre petite chapelle champêtre avait été parée de ses plus règne végétal et surtout par la magnifique famille des palmiers dont les bords du Maroni possèdent presque toutes les variétés. Après la sainte Messe, a eu lieu, dans la chapelle, en présence de toute l’assistance, attentive et recueillie, le baptême solennel du Gran-Man Anato, de sa femme et de ses trois enfants. Le Gran-Man a reçu le nom de Paul et sa femme celui de Pauline : les trois filles portent les noms d’Henriette, de Marie et de Madeleine.

« En outre, ont été jugés capables de recevoir le baptême, Couami, notre chasseur, sa femme et ses deux enfants, ainsi qu’un excellent jeune homme, Couacou, qui nous avait accompagnés de Sparwin jusqu’à Cottica.

« Après la cérémonie, il y a grand conseil présidé par Anato et l'on y décide à l'unanimité que, dans la tribu des Bonis, tout le monde sera baptisé. Le Grand-Man, se faisant l'interprète de l’honorable assemblée, vient me transmettre cette importante décision, en me priant de leur envoyer le plus tôt possible un missionnaire pour les instruire et les préparer au baptême ; il me dit en même temps qu'ils construiront une haussou gadou (une chapelle) et que Massa-Gadou ne manquera de rien au milieu d'eux.

« Je vais ensuite baptiser dans leurs cases, d’où elles ne peuvent pas sortir à cause de leurs infirmités, dont la première et la plus grave est la vieillesse, la mère du Gran-Man et sa tante.

« Enfin, sur la demande de ces dames, surtout de la femme du Gran-Man, qui s’appelle à présent Pauline et qui a voulu que je sois son parrain et celui du Gran-Man, je procède avec bonheur à la bénédiction du village. La partie religieuse de cette bonne et consolante journée se termine par cette cérémonie.

« A l’occasion de son baptême, le Gran-Man invita les capitaines à sa table qui fut copieusement servie de volailles, gibier et poisson convenablement préparés par Joseph, avec du vin et d’excellent café de Cottica pour la fin.

« Le soir, il y a eu danses des enfants que le Gran-Man m’invite à venir voir et qui sont innocentes, m’assure-t-il. J’accède à ses désirs : aux enfants s’étaient jointes quelques grandes personnes, et tout le village, ainsi que les villages voisins, était là. Voici en quoi consiste cet amusement, qui est comme le complément de toute cérémonie et pour lequel les Bonis sont passionnés.

« Les femmes se placent ensemble en demi-cercle. L’une d’elles chante en récitatif sur un ton uniforme, auquel toutes les autres répondent par un refrain de quelques syllabes et quelques notes répétées en cadence. Toutes ont les bras tendus en avant et levés vers le ciel, sans faire le moindre mouvement avec les pieds, elles se balancent de droite à gauche au son du tam-tam et en répétant leur refrain. Cela peut durer ainsi des heures et même des nuits entières.

« Les Bonis sont doux et pacifiques : aucune discussion vive entre eux : aucune dispute. Pendant le jour, les femmes sont à l’abattis ; les hommes vont à la pêche ou à la chasse, ou causent entre eux : la nuit venue, ou au moins de bonne heure, chacun rentre chez soi pour se livrer au repos. Nul tapage nocturne, aucun de ces cris et de ces chants avinés si communs dans nos pays civilisés. Les noirs du Maroni boivent volontiers un coup de tafia, mais ne s'enivrent pas ; et si l'un ou l'autre d'entre eux a contracté cette déplorable habitude, c'est dans le contact qu'il a eu avec la prétendue civilisation. »