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obtint son statut : elle ne devait relever que d’elle-même et du Pape. Si grand devint rapidement son prestige tant par la renommée universelle de ses maîtres que par le nombre des élèves accourus de tous les pays d’Europe, qu’elle devint capable de traiter avec les rois de puissance à puissance : il lui suffisait de menacer de suspendre les cours.

L’Université de Paris atteignit son plein développement dans la seconde moitié du treizième siècle, sous le règne de saint Louis. Les rapports entre maîtres et élèves étaient assez différents de ce qu’ils sont de nos jours : les maîtres ne recevaient pas un traitement de l’État mais étaient payés par les élèves. La plupart de ceux-ci, d’ailleurs, étaient pauvres, avaient de la difficulté à vivre à Paris. C’est pourquoi rapidement se formèrent des institutions destinées à aider les étudiants et dont les noms : Collège des Irlandais, Collège des Danois, etc… montrent l’influence extraordinaire de l’Université de Paris dans le monde, à une époque où les voyages étaient bien plus longs et difficiles qu’aujourd’hui, à une époque où les journaux et les moyens d’information réguliers n’existaient pas. La plus célèbre de ces institutions fut créée en 1257 par l’aumônier de saint Louis, Robert de Sorbon, d’où la Sorbonne actuelle tire son nom.

D’autres universités s’organisaient à l’exemple de celle de Paris : à Toulouse en 1223, à Montpellier en 1289, à Orléans en 1312. L’Université de Montpellier, par les relations qu’elle avait avec l’Espagne et la civilisation arabe, joua un très grand rôle pour le développement de la médecine et acquit une réputation mondiale. Elle devait compter parmi ses élèves François Rabelais.

Mais au delà même de nos frontières, la réputation de nos Universités était telle que la langue française devint extrêmement répandue dans toute l’Europe, et au XIIIe siècle, le français fut ce qu’il devait être à nouveau au XVIIIe siècle, la langue des gens cultivés de tous pays.

Quel était l’enseignement donné dans ces Universités ? Elles avaient grandi à l’ombre de l’Église, elles restaient sous sa direction, et l’enseignement qui y était donné ne pouvait être que celui de la théologie chrétienne, l’explication des Évangiles et des traités laissés par ceux qui, tel saint Augustin, avaient subi l’influence de la philosophie grecque, en particulier de Platon. Hors de l’Église, point de salut ; hors de l’Église, pas de science ; le dogme, tel que l’Église le formule, voilà la vérité. On est donc en possession de la vérité et il s’agira simplement de l’expliquer, d’en développer les conséquences.

Le grand problème qui se posait dès lors, et qui sera le fond de toute la vie intellectuelle du Moyen Âge, est le problème des rapports de la foi et de la raison. Est-il possible qu’en raisonnant, notre esprit en arrive à des conclusions qui soient en désaccord avec les enseignements de l’Église ? Et si cela arrive, à qui donner la préférence ? On voit qu’au fond de toutes ces « querelles de moines » nous apercevons l’effort constant de la raison humaine pour mieux pénétrer le monde qui nous entoure en se débarrassant des entraves et des préjugés que nous ont légués les siècles antérieurs.

C’est ainsi que nous devons apprécier l’œuvre et le succès du