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également qu’il publia la première édition latine de son Institution chrétienne. Cet ouvrage consacra la réputation de Calvin et fut vite apprécié pour ce qu’il était réellement, l’œuvre la plus puissante et la plus achevée de la théologie protestante. Mais ce qui est particulièrement intéressant et par quoi Calvin, en dépit de son dogmatisme, est bien un homme de la Renaissance, c’est qu’il publia en 1541 une traduction en français de son ouvrage fondamental, voulant ainsi le mettre à la portée de tous les esprits, et pas seulement des théologiens. Cet ouvrage eut un retentissement considérable : le public était mis directement, et dans un langage simple et imagé, au fait des fondements du nouveau mouvement religieux, et chacun, suivant le principe du libre examen, pouvait se faire une opinion des arguments apportés.

Au début de la Renaissance, la plupart des humanistes s’étaient livrés à la critique des Écritures et penchaient en général vers la Réforme. Mais par la suite, après que Calvin lui eut donné sa forme définitive, dogmatique, les humanistes s’en détournèrent. Ils ne pouvaient admettre une doctrine de prédestination d’après laquelle, par avance, Dieu a fixé le destin de chaque homme, d’après laquelle toute l’activité humaine ne peut modifier la décision immuable de Dieu. Une telle conception allait à l’encontre de la doctrine humaniste de confiance en la raison humaine, de confiance en sa perfectibilité. C’est pourquoi nous voyons dès le temps de Calvin l’Humanisme et la Réforme s’écarter l’un de l’autre quoique issus du même mouvement.

Dans le grand courant humaniste, le couronnant et le prolongeant, nous trouvons deux des plus grands penseurs de notre pays, François Rabelais et Michel Montaigne.


Rabelais et Montaigne

François Rabelais (1494-1553) sera étudié ailleurs à un autre point de vue[1]. Ayant fait ses études de médecine à la glorieuse Faculté de Médecine de Montpellier, médecin tout d’abord, puis curé de Meudon, il nous a laissé un des chefs-d’œuvre de notre littérature avec son Gargantua et Pantagruel. On y retrouve l’humaniste quand il se moque avec âpreté des scolastiques, des docteurs de la Sorbonne, quand il vante les mérites des lettres grecques retrouvées depuis peu. Il conçoit la vie comme les hommes de la Renaissance : pleine de satisfactions pour le corps et pour l’esprit, consacrée aux plaisirs et à l’étude. La nature est bonne, il suffit de la suivre, en se débarrassant de toutes les superstitions et préjugés. C’est le sens de la devise qui est inscrite à l’entrée de l’abbaye de Thélème, dont Rabelais fait l’image de la société selon la raison : « Fais ce que voudras ». Naturellement, l’éducation jouera un rôle essentiel. Ici Rabelais, assoiffé de connaissances, préconise une transformation complète du système d’éducation : à l’enseignement creux des scolastiques, il faut substituer un ensei-

  1. Allusion, non à un autre passage de la présente étude, mais à un autre ouvrage, en préparation en 1939. (Note de l’éditeur.)