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gnement plein de vie : tout savoir. Son programme est une véritable encyclopédie de toutes les connaissances humaines, sans oublier « les arts mécaniques ». Et Rabelais n’oublie pas d’insister sur l’importance des exercices physiques pour réaliser un équilibre heureux entre la culture du corps et la culture de l’esprit. Sa bonne humeur, son rire sont l’expression de la confiance dans l’homme, dans la raison humaine. C’est par là que Rabelais est bien français et qu’il sera lu bien longtemps encore.

Michel de Montaigne est le plus grand penseur français de la Renaissance. Il naquit le 28 février 1533 au château de Montaigne, en Périgord. Il reçut dès ses premières années une éducation soignée, fit ses études de droit et devint conseiller au Parlement de Bordeaux en 1557, où il se lia avec La Boëtie qui y était également conseiller. Après la mort de son père, il résigna son poste (1570) et, après un court voyage à Paris, il se retira dans son domaine, où pendant dix ans il se livra à la lecture et à la méditation. Le résultat en fut la parution, en 1580, des deux premiers livres d’un des plus grands ouvrages qui aient jamais été écrits : les Essais. Après leur publication, il voyage en Allemagne et en Italie, près de deux ans. Il observe, il compare les mœurs dans les divers pays sous divers climats. Pendant son séjour en Italie il apprit qu’il avait été élu maire de Bordeaux (1er août 1581). Il exerça sa magistrature consciencieusement et fut réélu en 1583. En 1588 il se retire définitivement dans son château, et jusqu’à sa mort (13 septembre 1592), il continuera à lire, à ajouter de nouveaux chapitres, de nouvelles remarques à ses Essais.

Montaigne lisait énormément. Il notait les sentences qui l’avaient particulièrement frappé dans sa lecture, et y ajoutait quelques commentaires. Telle fut l’origine des Essais. Ici, pas de plan. On passe d’un sujet à l’autre au hasard des lectures, au hasard des réflexions. Il ne s’agit pas d’exposer une philosophie, une conception du monde, il s’agit de faire part au lecteur des réflexions de l’auteur, en quelque sorte de le faire participer à sa propre vie intellectuelle. Et l’Avis au lecteur par lequel débute l’ouvrage nous dit : « C’est ici un livre de bonne foi, lecteur… Ainsi, lecteur, je suis moi-même la matière de mon livre. » C’était là une conception entièrement nouvelle : l’étude de l’homme lui-même avec ses désirs, ses passions, son intelligence, et Montaigne notait de suite que l’étude qu’il faisait de ses traits particuliers à lui Montaigne pouvait n’être pas utile seulement aux membres de sa famille qui voudraient conserver son souvenir, mais à tous les hommes aussi, car tout homme porte en soi « la forme entière de l’humaine nature ». Quiconque veut le lire pourra retrouver en Montaigne quelque chose de lui-même, et si on lui fait remarquer que sa vie ne présente pas d’événements si remarquables, il répondra qu’« on attache aussi bien toute la philosophie morale à une vie populaire et privée qu’à une vie de plus riche étoffe ».

À propos de chaque événement, si minime soit-il, de la vie, il va donc s’interroger, méditer, nous confier ses réflexions. Il réfléchira sur la mort, cherchera parmi les philosophes grecs les maximes les plus propres à assurer la paix de l’âme, à s’habituer à l’idée de la mort : dans des périodes aussi troublées, c’étaient là des sujets constants de méditation. Mais c’est surtout par ses