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fluence de cette conception, renforcée par les succès incontestables de la mécanique tant céleste que terrestre, a été énorme.

Certes, avec les progrès de la physique, la conception mécaniste du monde, fondée qu’elle était sur une connaissance encore bien primitive des diverses formes du mouvement, est désormais dépassée. Mais l’étude plus détaillée de la physique cartésienne, par cela même qu’elle est une physique du mouvement, nous y montre des traits non encore dépassés. Tout d’abord, c’est la grande idée, toute neuve alors, de l’indestructibilité du mouvement, le mouvement ne pouvant pas plus être créé ou détruit que la matière elle-même : loi relative au mouvement mécanique seulement, à coup sûr, car le seul connu, mais qui sera complétée deux siècles après en loi de conservation de l’énergie, par la mise en évidence de transformation de certaines formes de mouvement en d’autres formes du mouvement (par exemple en chaleur ou en son). Assurément aujourd’hui il nous est possible de mieux comprendre les différends qui opposaient en cette matière partisans de Descartes et partisans de Leibniz, sur ce qui est déterminant : la quantité de mouvement ou la force vive, conceptions toutes deux unilatérales et dépassées depuis.

De l’indestructibilité du mouvement, il s’ensuit que la seule action qui modifie l’état d’un corps, c’est sa rencontre avec un autre corps avec lequel il échange son mouvement, c’est le choc. La physique cartésienne sera donc fondée sur l’étude des chocs. En même temps, comme l’étendue s’identifie avec la matière, le vide ne peut exister, et comme le seul mouvement possible dans le plein est le mouvement tourbillonnaire, notre physique devra être édifiée sur les chocs et les tourbillons, d’où une image infiniment complexe du monde à la vérité, mais qui néanmoins nous montre quelques traits importants. Ainsi, ce mouvement apparaît essentiellement une relation entre un corps et les corps voisins.

Il se communique par leur contact immédiat ; c’est dire que la notion newtonienne d’action à distance y est étrangère. De façon générale, la physique cartésienne ignore la notion de force, qui ne peut valablement apparaître que lorsqu’on imagine des corpuscules isolés dans l’espace vide et qu’il s’agit de relier de quelque façon. Il en est de même de la pesanteur pour laquelle Descartes cherche à construire un mécanisme explicatif de tourbillons. Quel que soit le sort qui ait été fait à ces essais, n’est-il pas vrai que dans cette élimination de la force, de l’action à distance, dans ces essais de réduction de la pesanteur aux propriétés de l’espace, nous retrouvons le mouvement même de la science actuelle ?


Descartes et l’expérimentation

Nul d’ailleurs mieux que Descartes ne s’est rendu compte de la précarité des explications qu’il était conduit à fournir, devant la difficulté d’appliquer les mathématiques à des problèmes si complexes. Aussi, certain qu’il est que la théorie, s’il était possible pratiquement de la conduire, donnerait le bon résultat, cherche-t-il sans cesse, à l’inverse de ses devanciers scolastiques, à s’appuyer sur l’expérience. Lui qui avait rattaché les marées à l’attraction de la lune, qui avait expliqué l’arc-en-ciel, qui avait découvert la loi de la réfraction des rayons lumineux, il est sans cesse à l’affût de nouvelles découvertes, de nouvelles expériences. C’est lui