Le Peuple, dont on dit quelquefois qu’il s’est levé comme un seul homme, pense-t-il aussi comme un seul homme ? réfléchit-il ? raisonne-t-il ? conclut-il ? a-t-il de la mémoire, de l’imagination, des idées ? Si, en effet, le Peuple est souverain, c’est qu’il pense ; s’il pense, il a sans doute une manière à lui de penser et de formuler sa pensée. Comment donc est-ce que le Peuple pense ? Quelles sont les formes de la raison populaire ? procède-t-elle par catégories ? emploie-t-elle le syllogisme, l’induction, l’analyse, l’antinomie ou l’analogie ? est-elle pour Aristote ou pour Hegel ? Vous devez vous expliquer sur tout cela ; sinon, votre respect pour la souveraineté du Peuple n’est qu’un absurde fétichisme. Autant vaudrait adorer une pierre.
Le Peuple, dans ses méditations, fait-il appel à l’expérience ? Tient-il compte de ses souvenirs, ou bien sa marche est-elle de produire sans cesse des idées nouvelles ? Comment accorde-t-il le respect de ses traditions, avec les besoins de son développement ? Comment conclut-il d’une hypothèse épuisée à l’essai d’une autre ? Quelle est la loi de ses transitions et de ses enjambemens ? Qu’est-ce qui le pousse, le détermine dans la voie du progrès ? Pourquoi cette mobilité, cette inconstance ? J’ai besoin de le savoir, sans quoi la loi que vous m’imposez au nom du Peuple, cesse d’être authentique : ce n’est plus loi, c’est violence.
Le Peuple pense-t-il toujours ? Et s’il ne pense pas toujours, comment rendez-vous compte des inter-