Page:Somme contre les Gentils.djvu/51

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entend et comprend le nom de Dieu forme pour ainsi dire cet être dans son esprit ; en sorte que Dieu existe nécessairement, au moins dans l’intelligence. Mais il ne peut pas exister seulement dans l’intelligence ; car ce qui est intellectuel et réel est plus grand que ce qui est seulement intellectuel. Or, il n’est rien de plus grand que Dieu, ainsi que le prouve le sens même du mot [c’est-à-dire la définition]. D’où il suit que l’existence de Dieu est connue par elle-même et pour ainsi dire rendue évidente par la signification même de son nom.

2° On peut très bien concevoir comme existant un être qu’il est impossible de concevoir n’existant pas, et cet être est évidemment plus grand que celui qui peut être conçu comme non existant. On pourrait donc concevoir quelque chose de plus grand que Dieu, s’il était possible de le concevoir n’existant pas, ce qui détruirait la signification de son nom. Reste donc à dire que l’existence de Dieu est connue par elle-même.

3° Il faut nécessairement que ces propositions soient parfaitement connues par elles-mêmes, qui attribuent une chose à elle-même, comme celle-ci : L’homme est un homme ; ou dont les attributs sont renfermés dans la définition du sujet, par exemple : L’homme est un animal. Or, c’est principalement de Dieu que nous pouvons dire, ainsi qu’il sera démontré plus loin [ch. 22], que son être est son essence[1]. C’est comme si l’on faisait la même réponse à ceux qui demandent ce qu’il est, ou bien s’il existe. Si donc lorsqu’on dit : Dieu

  1. L’être de Dieu est son essence. Ces deux expressions : être et essence, quoiqu’elles aient chacune leur sens propre, signifient absolument la même chose, lorsqu’il s’agit de Dieu. Par être on entend l’existence, et par essence, ce qui constitue une chose. Or, Dieu étant l’Être nécessaire, l’idée de son essence suppose nécessairement son existence. Il n’en est pas de même pour les créatures : comme elles sont contingentes, il peut très bien arriver que leur essence étant comme, elles restent privées de l’existence. C’est ce qui a lieu précisément pour les futurs contigents, qui ne sont pas encore réalisés, et pour les êtres purement possibles, qui ne le seront jamais. — L’essence est un mot qui représente l’universel, tandis que l’être ou l’existence implique l’idée du particulier, ou la réalisation de l’essence dans l’individu. — Il sera nécessaire de se rappeler cette distinction dans la suite, car saint Thomas emploie souvent ces termes et toujours dans le même sens.