Page:Sophocle - Œdipe Roi, trad. Bécart, 1845.djvu/94

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LE BERGER.
Pas plus ni moins que moi, ce roi, jadis mon maître[1]

Ne t’a donné le jour.

ŒDIPE.
Pas plus qu’un étranger

Mon père ne m’est rien ! Explique-toi, berger ?

LE BERGER.
À lui non plus qu’à moi tu ne dois la lumière.


ŒDIPE.
Il me nommait son fils, je le nommais mon père !


LE BERGER.
C’est moi qui dans ses bras un jour t’avais remis.


ŒDIPE.
Et si cher à son cœur, je n’étais point son fils !...


LE BERGER.
Ce vieux roi regrettait de se voir sans famille.


ŒDIPE.
M’as-tu donc acheté quelque part dans la ville,

Ou suis-je ton enfant[2] ?

LE BERGER.
Au pied du Cithéron,

Je t’ai trouvé jadis dans le creux d’un vallon.

ŒDIPE.
Quel dessein dirigeait tes pas vers la montagne ?


LE BERGER.
Je veillais aux troupeaux paissant dans la campagne.
  1. Autant et aussi peu que moi, dit Brumoy. — Dacier n’a point voulu traduire à la lettre ce vers et les deux suivants, sans doute pour n’avoir pas fait attention à l’équivoque gracieuse de cette expression. Il se contente de mettre : Non, seigneur. Il y a dans le grec une finesse de style en ce que le berger était dans la vérité, autant et aussi peu père d’Œdipe que de Polybe. Le berger lui avait sauvé la vie : Polybe l’avait adopté ; mais ni l’un ni l’autre ne lui avait donné la naissance.
  2. Cette demande d’Œdipe est en contradiction avec les affirmations précédentes du messager ; peut-être cette inconséquence a-t-elle pour cause la préoccupation, dans Œdipe, de l’idée que Polybe n’était pas son véritable père.