Oui, elle en a, mais non dans ta bouche, tu ne peux l’invoquer, toi, dont les yeux, les oreilles et l’esprit sont à jamais fermés[1].
Tu es bien malheureux, de me reprocher ce que bientôt chaque Thébain te reprochera à toi-même.
Toi qui vis dans d’éternelles ténèbres, tu ne saurais nuire ni à moi, ni à aucun de ceux qui voient la lumière.
En effet, ton destin n’est point de tomber sous mes coups[2]. Apollon suffit, c’est lui que la vengeance regarde.
Ces inventions sont-elles de Créon[3] ou de toi ?
Ce n’est pas Créon qui cause ton malheur, mais toi seul en es l’auteur.
O richesse, pouvoir suprême, sagesse qui nous élèves au-dessus des autres, dans cette vie remplie de tant de rivalités, combien vous êtes exposés à l’envie, si, pour cet empire que les Thébains m’ont déféré de leur propre choix, sans que je l’aie demandé, Créon, cet ancien, ce fidèle ami, trame contre moi des intrigues[4] secrètes, dans le désir de me renverser, et suborne ce misérable
- ↑ Le texte dit : « toi qui es aveugle des oreilles, de l’esprit et des yeux. »
- ↑ Malgré l’accord des manuscrits qui portent Οὐ γὰρ με μοῖρα πρὸς γέ σου πεσεῖν, « mon destin n’est pas de succomber sous tes coups, » toutes les éditions modernes donnent, d’après la correction de Brunck et d’Hermann, la correction Οὐ γὰρ με μοῖρα πρὸς γ᾿έμοῦ πεσεῖν, qui présente un sens plus naturel et plus en accord avec l’ensemble de la scène.
- ↑ Voilà enfin les soupçons d’Œdipe contre Créon qui éclatent. Puis, après la noble réponse de Tirésias, ce magnifique appel d’Œdipe à sa fortune, à la puissance et à sa haute sagesse, dans l’instant même où, sans le savoir, il a déjà tout perdu.
- ↑ ῎Υπελθὼν, métaphore tirée de la lutte : « me prenant en dessous. » De même dans Philoctète, v. 1007.