Page:Sophocle - Tragédies, trad. Artaud, 1859.djvu/232

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pour le bonheur de ceux qui m’accueilleront, et pour la perte de ceux qui m’auraient repoussé[1], et que le signal de ma délivrance me serait donné par un tremblement de terre, ou par le tonnerre, ou par la foudre de Jupiter. Je le vois maintenant, c’est sans aucun doute un heureux présage envoyé par vous, qui m’a conduit dans ce bois sacré. Autrement, jamais je ne vous aurais rencontrées les premières, dans ma course errante, et je ne serais venu me reposer sur ce siège grossier, dans l’enceinte révérée consacrée aux sobres déesses[2], sobre moi-même. Accomplissez donc, ô déesses, les oracles d’Apollon, et accordez-moi enfin de terminer ma vie et de mourir[3], si je ne vous parais pas indigne d’une telle faveur, en proie, comme je le suis[4], à d’éternelles souffrances, les plus cruelles que puisse endurer un mortel. Vous donc, filles bienfaisantes de l’antique Érèbe, et toi, qui portes le nom de la puissante Pallas, Athènes, illustre entre toutes les villes, ayez pitié de l’ombre infortunée d’Œdipe ; car ce n’est plus là mon corps d’autrefois.

ANTIGONE.

Silence ! car voici des vieillards qui s’avancent pour observer où tu t’es arrêté.

ŒDIPE.

Je garderai le silence ; mais toi, retire-moi du chemin, et cache-moi dans ce bois, car il faut savoir, pour

  1. Il y a ici une allusion politique : les Athéniens étaient alors en guerre avec les Béotiens. La possession du tombeau d’Œdipe était regardée comme un gage de victoire.
  2. Les libations offertes aux Euménides se faisaient avec de l’eau seulement ; le vin n’y était pas employé. Au vers 107 des Euménides d’Eschyle, Clytemnestre parle de libations ὰοίνους;. — Mais on y joignait du miel, comme on le verra dans le premier Chœur, v. 159.
  3. Καταστροφήν : ce mot est employé aussi par Thucydide, pour signifier la mort, l. II, 42, dans le célèbre discours de Périclès eu l’honneur des guerriers morts pour la patrie.
  4. Λατρεύων, « attaché comme un esclave. » Eschyle avait dit de Prométhée enchaîné à son roc, v. 968 :
    τῇδε λατρεύειν πέτρᾳ.