Page:Sophocle - Tragédies, trad. Artaud, 1859.djvu/62

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hôtes : le voilà enfoncé sur le sol ennemi de Troie, j’en ai aiguisé la pointe sur la pierre[1], je l’ai affermi de telle sorte qu’il me rendra le service[2] de me donner promptement la mort. J’ai ainsi tout disposé avec soin. Maintenant, Jupiter, c’est à toi à m’ aider d’abord ; je ne te demanderai pas une faveur bien grande ; fais seulement parvenir à Teucer cette triste nouvelle, afin qu’il soit le premier à enlever ce corps tombé sur mie épée sanglante, et qu’aucun de mes ennemis ne le prévienne, et ne me livre aux chiens et aux oiseaux de proie. Tels sont les vœux que je t’adresse, ô Jupiter ! Je prie aussi Mercure, conducteur des ombres, de me ménager aux enfers une descente prompte et sans douleur, aussitôt que cette épée aura percé mon flanc. J’appelle encore à mon aide les déesses toujours vierges et toujours attentives aux actions des mortels, les augustes Euménides, aux pas rapides ; qu’elles sachent que je meurs victime des Atrides. Puissent-elles infliger à ces infâmes un supplice digne de leurs forfaits ; et, ainsi qu’elles me voient périr de ma propre main, puissent-ils tomber eux-mêmes sous les coups de leurs enfants les plus chers ! Venez, déesses promptes à punir le crime, n’épargnez rien, frappez l’armée entière. Et toi qui conduis ton char dans l’étendue des cieux, Soleil, quand tu verras la terre de ma patrie, retiens tes rênes d’or, annonce mes calamités et ma destinée à mon vieux père et à l’infortunée qui m’a nourri[3]. Malheureuse ! comme à cette nouvelle donnée elle fera retentir toute la ville de ses lamentations. Mais à quoi bon ces plaintes inutiles ? achevons au plus tôt notre ouvrage. O Mort ! ô Mort ! viens, jette sur moi tes regards ; bientôt j’habiterai avec toi dans les sombres demeures. Et toi, brillante clarté du jour, Soleil radieux[4], je te parle pour la dernière fois. O lumière, ô sol sacré

  1. « Aiguisé récemment sur la pierre qui use le fer. »
  2. εὐνούστατον, « très-bienveillant » C’est de l’épée d’Hector qu’il parle ainsi.
  3. Sa mère Euribœa
  4. Διφρευτὴν, conducteur de char.