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Page:Sorel - L’Histoire comique de Francion, 1925.djvu/103

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Marsaut, qui s’était rendu, par l’exercice, un des plus subtils voleurs qui fût en toutes les bandes des Rougets et des Grisons ; car les compagnies s’appelaient ainsi. Il continuait toujours à jouir de moi quand il en avait envie, et n’était point jaloux que d’autres que lui eussent le même bien, pourvu qu’il fût leur maquereau. De tous côtés il me cherchait des pratiques, mais non point des communes ; car il ne s’y arrêtait pas seulement. Il ne butait qu’aux excellentes, comme était celle que je m’en vais vous dire.

Un jeune gentilhomme anglais était logé avec lui au faubourg Saint-Germain, et lui avait une fois dit qu’il ne voyait point de si belles femmes en France qu’en son pays. Marsaut lui ayant répondu qu’elles se cachaient à Paris dedans les maisons, comme des trésors qui ne devaient pas être mis à la vue de tout le monde, il s’enquit de lui s’il en connaissait quelqu’une.

— Je vous veux faire voir la plus belle que je connaisse, ce dit Marsaut, et qui est entretenue par un des plus grands seigneurs de la cour.

Après avoir dit cela, il le mène promener, lui contant mille merveilles de mes perfections, et le fait passer par dedans notre rue, où il lui montre ma demeure. Il fallut qu’ils y retournassent par dix ou douze fois pour me voir à la fenêtre ; car je ne m’y tenais pas souvent, et encore n’était-ce que le soir. Ce qui fit que l’Anglais, ayant déjà l’opinion préoccupée et ne pouvant pas voir parmi l’obscurité les défauts de mon visage, s’il y en avait, crut que j’étais un chef-d’œuvre de la nature.

— Elle n’est pas ma parente de si loin, lui dit Marsaut