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Page:Sorel - L’Histoire comique de Francion, 1925.djvu/104

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en se retournant, qu’elle ne m’appelle son cousin à tour de bras.

— Vous l’allez donc visiter ? dit l’Anglais.

— Quelquefois, répond Marsaut.

— Y a-t-il moyen que j’y aille avec vous, réplique l’Anglais.

— Comment ! monsieur, dit Marsaut, à peine y puis-je avoir entrée pour moi ; car le seigneur qui la possède est si jaloux qu’il a des espies qui veillent sur ses actions et gardent que personne ne parle à elle, principalement en particulier.

— Ne dois-je point avoir d’espérance d’acquérir ses bonnes grâces ? reprit l’Anglais.

— Je pense que cela n’est pas faisable, encore que votre mérite soit infini, répond mon dissimulé cousin ; car elle a trop bien donné son cœur pour le dégager de sitôt.

Cette difficulté augmenta les désirs de l’Anglais, qui ne sortait jamais depuis, qu’il ne fît la ronde vers ma maison, comme s’il l’eût voulu prendre d’assaut. Je fus avertie de ce qu’il me fallait faire, et à l’heure que mon nouvel amant passait, je me mettais à la fenêtre pour jeter toujours des œillades languissantes dessus lui, comme si j’eusse été transie d’amour à son sujet. Un jour, Marsaut s’arrêta tout exprès à parler à moi sur ma porte, comme l’autre était en notre quartier, et, quand il passa, je dis fort haut : « Mon Dieu ! qui est cet étranger-là ? il a parfaitement bonne mine. »

Cette parole, qu’il entendit, lui navra le cœur par l’oreille ; mais la passion qu’il eut alors ne fut rien à comparaison de celle qu’il sentit lorsque Marsaut, étant de