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Page:Sorel - L’Histoire comique de Francion, 1925.djvu/115

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Nous nous retirâmes aux faubourgs, en une méchante maison fort éloignée, où nous regrettâmes bien la bonne chère que nous avions faite par le passé ; car nous en faisions alors une bien maigre, n’ayant rien autre chose que quelque peu d’argent que nous avions épargné, qui était le reste de nos trop somptueuses dépenses. Cette chétive vie fut, je pense, la principale cause d’une grande indisposition qui prit à Perrette. Comme elle était merveilleusement triste de se voir ainsi déchue, la bonne dame se sentait bien défaillir peu à peu ; c’est pourquoi elle fit ce que l’on a coutume de faire en cette extrémité. Moi qui étais comme sa fille, je reçus d’elle des témoignages apparents de bienveillance ; de toutes les choses qu’elle savait, elle n’en oublia pas une à me dire, et me donna des conseils dont je me suis bien servie depuis.

Pour ne vous point mentir, il n’y avait aucun scrupule en elle, ni aucune superstition ; elle vivait si rondement, que je m’imagine que, si ce que l’on dit de l’autre monde est vrai, les autres âmes jouent maintenant à la boule de la sienne. Elle ne savait non plus ce que c’est des cas de conscience qu’un Topinambouwkt, parce qu’elle disait que, si l’on lui en avait appris autrefois quelque peu, elle l’avait oublié, comme une chose qui ne sert qu’à troubler le repos. Souvent elle m’avait dit que les biens de la terre sont si communs, qu’ils ne doivent être non plus à une personne qu’à l’autre, et que c’est très sagement fait de les ravir subtilement, quand l’on peut, des mains d’autrui. « Car, disait-elle, je suis venue toute nue en ce monde, et nue je m’en retournerai : les biens que j’ai pris d’autrui,