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Page:Sorel - L’Histoire comique de Francion, 1925.djvu/116

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je ne les emporterai point. Que l’on les aille chercher où ils sont et que l’on les prenne, je n’en ai plus que faire. Hé quoi ! si j’étais punie après ma mort pour avoir commis ce que l’on appelle larcin, n’aurais-je pas raison de dire à quiconque m’en parlerait, que ç’aurait été une injustice de m’avoir mise au monde pour y vivre sans me permettre de prendre les choses dont l’on y vit ? »

Après m’avoir tenu de pareils discours, elle expira, et je la fis enterrer sans aucune pompe, comme elle m’avait recommandé, parce qu’elle savait qu’il n’est rien de plus inutile.



Quelques nouvelles connaissances me vinrent alors, qui m’apportèrent un peu de quoi dîner ; mais la perte de ma bonne mère me fut si sensible, avec la mauvaise rencontre que je faisais quelquefois de personnes qui savaient trop de mes affaires, que je me résolus de quitter Paris et m’en aller à la ville de Rouen. Ma beauté fut encore si puissante pour m’amener force galants ; mais comme j’étais indifféremment une étable à tous chevaux je me vis en peu de temps infectée d’une vilaine maladie. Que maudits soient ceux qui l’ont apportée en France ! Elle trouble tout le plaisir des braves gens, et n’est favorable qu’aux barbiers, lesquels doivent bien des chandelles à l’un de nos rois, qui mena ses soldats à Naples pour l’y gagner et en rapporter ici de la graine. Si j’eus quelque bonheur en mon infortune, c’est qu’un honnête et reconnaissant chirurgien, à qui j’avais fait plaisir auparavant, me pansa pour beaucoup moins que n’eût fait un autre de sa manicle. Je ne vous veux pas entretenir de ces ordures, encore que je sache que vous n’êtes pas de ces délicats à