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Page:Sorel - L’Histoire comique de Francion, 1925.djvu/118

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première vie de la Madeleine, parlait fort contre les paillardes et représentait si vivement les peines qui leur sont préparées en enfer, que mon amant disait en lui-même qu’il pouvait bien faire compte d’aller chercher une autre que moi pour lui octroyer la courtoisie, s’imaginant que je serais touchée de beaucoup de repentirs en oyant cette prédication. Mais, sitôt qu’elle fut achevée, et qu’ayant pu m’aborder il m’eut dit la pensée qu’il avait, je lui répondis :

— Vrami voire ! lui dis-je, j’aurais l’âme bien faible de m’étonner de ce que nous vient de conter ce moine ; ne sais-je pas bien qu’il faut que chacun fasse son métier ? Il exerce le sien, en amusant le simple peuple par ses paroles, et le détournant d’aller aux débauches où se perd l’argent inutilement et où se font les querelles et les batteries ; et moi j’exerce aussi le mien, en éteignant la concupiscence des hommes par charité chrétienne.

Il fut payé de cette sorte ; et comme il avait l’âme simple, à la mode du vieux temps que l’on se mouchait sur la manche, il s’étonna fort de mon humeur libertine, qu’il prenait pour très mauvaise et répugnante à la bonne religion. Pour vous abréger le conte, je lui enseignai ce qu’il désirait d’apprendre, mais si malheureusement pour lui, qu’il y gagna un chancre qu’il fut contraint de porter aussi bien que la sphère du ciel porte le sien ; qui pis est, il n’eut pas couché huit jours avec sa nouvelle épouse, qu’il lui infecta tout le corps. N’avait-il pas fait un bel apprentissage sous ma maîtrise ?

Enfin, les ans gâtèrent tellement le teint et les traits de mon visage, que la céruse et le vermillon n’étaient pas