Aller au contenu

Page:Sorel - L’Histoire comique de Francion, 1925.djvu/119

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
93

capables de me rembellir. Petit à petit, le nombre de mes amants s’amoindrissait, et je n’avais plus chez moi que des faquins, moins chargés d’argent que de désir d’en avoir. Cela me contraignit à me tirer du rang des filles et à me mettre du rang des mères, qui cherchent la proie pour leurs petits. Afin de m’acquitter plus accortement de cette charge, je m’habillai à la réformation[1], et n’y avait point de pardons où je n’allasse gagner des crottes. Je connaissais les braves hommes à leur mine et, quand j’avais acquis leur connaissance, je les menais en des lieux où ils recevaient toute sorte de contentement. Si quelqu’un était amoureux de quelque fille, j’employais pour lui tout mon pouvoir et faisais tenir finement des lettres à sa maîtresse.

Or, Francion, apprêtez maintenant vos oreilles à ouïr ce que je m’en vais conter de Laurette ; car je m’en vais entrer en ce sujet-là.

Étant aux champs avec une de mes commères, je me promenais un soir toute seule en un lieu fort écarté, comme je vis passer auprès de moi un homme inconnu qui tenait quelque chose sous son manteau. Après qu’il fut à vingt pas de moi, j’entendis crier un enfant, ce qui me fit retourner aussitôt, et je connus qu’il fallait que ce fût cet homme qui en portât un.

— Où portez-vous cet enfant-là ? lui dis-je ; à qui est-il ?

S’arrêtant alors, il me dit qu’il l’allait porter à un village prochain, où il croyait y avoir une bonne nourrice. Je le suppliai tant, qu’à la fin il me découvrit que c’était un péché d’un jeune gentilhomme du pays, qu’il avait

  1. ndws : Réformation, cf. Furetière, Dictionnaire universel, 1690, t. II, Gallica Cette femme s’est reformée, et s’est vestue en beate.