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Page:Sorel - L’Histoire comique de Francion, 1925.djvu/120

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fait à une servante de sa mère ; mais il ne me voulut pas nommer personne. Encore que l’obscurité fût grande, je pris la petite créature entre mes mains pour voir si elle était belle ; et celui qui me l’avait baillée me montra aussitôt les talons, en me disant qu’il allait parler à un de ses camarades. Le gage qu’il me laissait ne me plaisant pas, je le posai dessus l’herbe et m’en courus après lui, inutilement toutefois, car il avait si bonne jambe qu’il disparut en peu de temps ; d’ailleurs, j’entendais aboyer un mâtin auprès de l’enfant que j’avais quitté, ce qui me fit retourner à lui, craignant qu’il ne lui advînt quelque mal. La compassion me le fit prendre entre mes bras et le porter à la maison, où je connus à la lumière que c’était une fille parfaitement belle, comme ordinairement sont tous les enfants qui se font par amourettes, d’autant que l’on y travaille avec plus d’affection et que le plus souvent les mères sont belles, puisqu’elles ont su donner de la passion à un homme.

Je connaissais à Rouen une nourrice qui avait tant de lait qu’elle s’accorda à nourrir encore ma fille outre la sienne, moyennant une petite somme que je lui promis. Quand elle l’eut sevrée, je la pris avec moi et l’appelai toujours Laurette, ainsi que celui qui me l’avait baillée m’avait dit que l’on l’avait nommée sur les fonts. Je ne dépensais guère à la nourrir, parce que toutes les filles de joie de la ville la trouvaient si bellottewkt, qu’elles la voulaient avoir chacune à leur tour en leur maison. Et certes elle ne leur était point inutile ; car en allant avec elles par les rues, elle était cause que l’on ne les prenait pas pour ce qu’elles étaient, mais pour des femmes de bien mariées.