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Page:Sorel - L’Histoire comique de Francion, 1925.djvu/122

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Depuis elle ne fut point chiche d’œillades à ceux qui lui en jetaient, et je vous assure bien qu’elle les envoyait si amoureusement, qu’elle remportait toujours un cœur en récompense. Voyez un peu l’artifice dont je lui faisais user, afin que chacun m’estimât de celles que l’on appelle femmes d’honneur. Lorsque je me retournais vers elle, elle abaissait soudain les yeux, comme si elle n’eût plus osé regarder les hommes licencieusement, comme elle avait fait quand j’avais eu le dos tourné.

Entre les jeunes muguets qu’elle avait charmés, il y en avait un, plus brave que les autres, nommé Valderan, que je croyais être aussi le plus riche. Comme notre voisin il nous accosta bientôt et me demanda la permission de nous venir visiter, que je lui accordai avec remerciements de l’honneur qu’il nous voulait faire ; néanmoins je recommandai bien à Laurette de lui témoigner toujours une petite rigueur invincible, jusques à tant qu’il répandît dans ses mains force écus d’or, que je lui disais être des astres qui donnent la qualité de dieux en terre à ceux qui les ont en maniement, ainsi que ceux qui sont au ciel donnent ce même honneur aux pouvoirs souverains qui les régissent.

Mes remontrances n’étaient pas vaines ; car elle les savait si bien observer, qu’elle ne voyait pas une fois Valderan, qu’elle ne se plaignît à lui, à part, que sa tante (qui était moi) était la plus chiche femme du monde.

— Mon père m’a envoyé beaucoup d’argent pour me r’habiller tout à neuf, lui disait-elle, mais elle n’en veut point faire d’emplette pour moi ; et je pense même qu’elle l’a employé à ses nécessités particulières, encore que,