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Page:Sorel - L’Histoire comique de Francion, 1925.djvu/123

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Dieu merci, elle soit d’ailleurs très bien payée de ma pension.

Après cette menterie, elle ne feignait[1] point de demander de l’argent à Valderan, pour acheter une cotte ou une robe ; et, lorsqu’il lui disait qu’il aurait bien de la peine à lui donner ce qu’elle lui demandait, elle lui répondait :

— Hé ! comment voulez-vous que je connaisse votre affection, si vous ne vous portez en des difficultés extrêmes pour la témoigner ?

Par des subtilités semblables, elle tira de lui à la fin quelque peu d’argent. Il pensait que, pour cela, elle fût obligée de se donner du tout à lui ; mais il fallut bien qu’il quittât cette opinion, lorsqu’il vit qu’elle le dédaignait plus que de coutume.

En ce temps-là, il y eut un brave et leste financier, appelé Chastel, qui acquit notre connaissance par le moyen d’une fille qui nous servait, laquelle lui représenta si bien nos nécessités, selon mon instruction, que, pour avoir part à nos bonnes grâces et tâcher d’obtenir du remède à l’affection qu’il avait pour Laurette, il nous fit plusieurs largesses, qui captivèrent infiniment notre bienveillance. C’était un rieur, qui ne savait ce que c’est de ces grands transports d’amour. Il fuyait tout ce qui lui pouvait ôter son repos et ne voulait point que l’on lui refusât deux fois une chose. Moi qui connaissais son humeur, je lui faisais le meilleur visage que je pouvais ainsi que faisait pareillement ma nièce.

Un soir, nous revenions de la ville comme il venait de sortir de chez nous, et Valderan nous vint voir en même temps. Laurette prit le miroir, selon sa coutume ordinaire

  1. ndws : se feindre, feindre à, hésiter (vieilli) : Nous feignons à vous aborder. Molière, Avare, V, 2., cf. éd. Roy, t. I. p. 108.