Aller au contenu

Page:Sorel - L’Histoire comique de Francion, 1925.djvu/124

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
98

pour accommoder ses cheveux, et notre servante, la regardant, se prit si fort à rire qu’elle lui demanda ce qu’elle avait. Elle qui était une délibérée sans dissimulation lui dit :

— Chastel vient de sortir de céans ; vous ne savez pas ce qu’il a fait ? En vous voyant mirer, je me souviens qu’il a pris ce miroir-là, et qu’il a contemplé son… vous m’entendez bien : il n’est pas besoin que je l’explique.

Ayant dit cela, elle se mit à rire plus fort que devant, et Laurette fit alors un trait non pareil pour témoigner une excessive pudeur à Valderan, qui écoutait tout, et pour réparer l’indiscrétion de la servante ; car, comme si elle eût été grandement en colère, elle prit un certain fer et en cassa la glace du miroir, disant qu’elle ne voulait jamais voir son visage en un lieu où l’on avait vu une si vilaine chose. Valderan lui dit avec un sourire modéré qu’elle était d’une humeur trop colérique, et qu’il n’était rien demeuré dans le verre de l’objet que lui avait présenté Chastel ; néanmoins je sais bien qu’il loua en soi-même cette action et qu’il fut bien aise d’avoir une si sage maîtresse, comme paraissait Laurette en tous ses discours. Cela fut mêmement cause qu’il ne la requit plus avec tant de licence d’alléger son tourment, et qu’il s’imagina qu’il ne pourrait rien avoir d’elle s’il ne l’épousait ; néanmoins, parce qu’il n’avait guère envie de se lier déjà d’une si fâcheuse chaîne, il se proposa de tenter encore la fortune et de tâcher de gagner sa maîtresse par les preuves d’une extrême passion.

Chastel avait tant dérobé le roi pour nous enrichir, que nous eussions été les plus ingrates du monde si nous n’eus-