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Page:Sorel - L’Histoire comique de Francion, 1925.djvu/126

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aussi bien n’est-ce pas un grand présent que vous lui faites.

— Tu es une moqueuse, dit Valderan ; je ne lui puis rien bailler de plus sortable à sa qualité que de la musique. Car ne sais-tu pas bien que c’est tout ce qu’on donne aux plus grandes divinités pour les convier à nous servir et pour les remercier de nous avoir secourus ?

— Vous nous la baillez belle, dit ma servante : vous prenez donc Laurette pour une déité ? Voulez-vous voir ce qui est dans sa chaise percée, et si vous aurez bien le courage d’en manger ? Ce n’est point du nectar ni du maître Ambroise. La fin de votre air a été que votre soleil commençait à paraître, et c’était moi sans doute que vous preniez pour elle : voilà pourquoi je conjecture que je jette des rayons aussi flamboyants que les siens, ou peu s’en faut. La nuit est donc passée incontinent ; allez-vous-en, je vous le conseille. Ce ne serait plus une sérénade que vous bailleriez ; et vous feriez l’amour indiscrètement, le faisant en plein jour.

— Si ma maîtresse était aussi mauvaise que toi, dit Valderan, je serais réduit à une étrange extrémité : je pense qu’elle aura meilleure opinion que toi de ma musique.

— Vous êtes bien de votre pays, répondit ma servante, pensant que, quand elle aurait entendu votre chanson, elle vous aimât davantage. Non, non, si elle lui a plu, elle aimerait bien plutôt celui qui l’a chantée ; car, quant à vous, quelle merveille avez-vous faite qu’un autre ne puisse faire ? Le plus grand sot du monde peut faire venir chanter ici le plus excellent musicien que l’on puisse trouver.