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Page:Sorel - L’Histoire comique de Francion, 1925.djvu/127

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— Ce n’est pas avec la voix que je désire acquérir la bonne grâce de madame, dit Valderan, c’est avec l’affection extrême qu’il me suffit d’avoir fait déclarer par le chant d’un autre.

— Voilà qui est bien, ma foi, répondit la servante : un homme insensible à l’amour peut faire dire qu’il est passionné aussi bien que vous.

Valderan, voyant qu’il n’y avait rien à gagner que de la honte avec cette moqueuse-là, qui disait la plupart de ses traits piquants selon que je la venais d’enseigner, s’en retourna sans faire continuer la musique ; et je m’en allai voir ma nièce, qui était entre les bras de Chastel, avec qui, elle avait pris son plaisir au son du luth. Je ne dis pas devant lui qui c’était qui avait fait donner la sérénade, craignant de lui causer de la jalousie. Mais le lendemain j’en parlai à Laurette, et, considérant la misère où l’on est quelquefois en exerçant le métier que je lui faisais prendre, m’avisai qu’il serait bon de la marier, et que nous ferions bien, si nous pouvions prendre au trébuchet le passionné Valderan ; car je m’imaginais qu’il était infiniment riche, et que je passerais en repos le reste de mes jours en sa maison, hors du péril des naufrages que je redoutais.

Dès que Laurette le put voir en secret, elle lui assura qu’elle était ardemment éprise de ses perfections : mais pourtant qu’il se trompait, s’il pensait devoir obtenir d’elle quelque faveur sans la prendre pour sa femme. Sa passion dominant alors dessus lui plus que jamais, il prit du papier et lui écrivit une promesse de mariage, pensant qu’il posséderait d’elle après ; mais, quand il fut