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Page:Sorel - L’Histoire comique de Francion, 1925.djvu/128

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sorti et qu’elle me l’eut montrée, je ne me contentai pas de cela et dis qu’il fallait tout résolument qu’il l’épousât en public, ou qu’il donnât bien du fonds pour jouir d’elle en secret. Comme nous étions sur le point de le faire résoudre à l’un ou à l’autre, nous le vîmes un jour traîner honteusement au Fort-l’Évêque[1], où je pense qu’il est encore détenu prisonnier, pour avoir affronté plusieurs marchands et autres personnes. Quand nous sûmes que toute sa piaffewkt n’était venue que d’emprunts, nous ne fîmes non plus d’état de lui que de la fange, et sa promesse fut jetée dans le feu comme inutile.

En ce temps-là, l’amour du financier se refroidit par la jouissance, et comme il ne venait plus voir ma nièce si souvent que par le passé, il ne nous faisait plus aussi des dons si fréquents. Cela me contraignit de donner entrée chez moi à plusieurs autres braves hommes, à qui j’avais l’artifice de faire entendre nos nécessités. Les uns nous assistaient un peu, et les autres point du tout. Mais aussi étaient-ils traités d’une étrange façon de Laurette, qui leur témoignait tantôt un dédain, et leur donnait tantôt un trait de gausserie qui les piquait vivement. Le plus souvent, en jouant aux cartes avec eux, elle prenait bien la hardiesse de serrer en bouffonnant tout leur argent à jamais rendre, et elle faisait cela de si bonne grâce et si à propos, qu’ils eussent eu de la honte à s’en offenser. Il y avait quelquefois des niais qui voulaient toucher son sein, autant pour lui montrer une belle bague qu’ils avaient au doigt et lui éblouir les yeux, que pour autre chose. Soudainement elle leur prenait la main, et leur disait :

— Qu’elle est effrontée, cette main-ci ! qu’elle est

  1. ndws : Fort l’Évêque, prison réunie au Châtelet en 174. cf. éd. Roy, t. I, p. 114.