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Page:Sorel - L’Histoire comique de Francion, 1925.djvu/129

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téméraire ! Elle court en tous les endroits où ses désirs la portent, et encore en temps de guerre elle va sur les pays de son ennemi. Certes, je la tiens bien la traîtresse : je ne la laisserai pas aller qu’elle n’ait payé sa rançon. » Puis, en ôtant la bague, elle continuait : « Ha ! voici qui aidera à nous satisfaire. »

Quelquefois le jocrissewkt la lui redemandait en s’en allant, mais elle lui répondait toujours avec des risées qu’elle lui demeurerait pour la rançon de sa main.

— M’aviez-vous pas tantôt appelée votre plus cruelle ennemie, en me contant vos tourments ? lui disait-elle : vous deviez songer que depuis nous n’aurions point fait de paix ni de trêve.

Si, à quelques jours de là, il l’importunait encore de la rendre et que ce fût une pièce de trop grand prix pour la dérober ainsi, elle la lui baillait, à condition de lui faire un autre présent à sa discrétion même. Mais quelquefois aussi voyant qu’elle n’était pas de grande valeur, elle la retenait fort bien, ou disait qu’elle l’avait mise en gage ; et celui à qui elle appartenait était contraint de l’aller retirer de son argent, s’il la voulait ravoir.

Elle faisait une infinité d’autres profitables galanteries et ne considérait point la beauté, la courtoisie ni la gentillesse de personne pour l’affectionner davantage que ces autres. Je l’avais avertie de ne se point laisser embéguiner par ces fadaises-là ; qui n’apportent pas de quoi dîner, et son humeur libre la portait assez à suivre mon conseil. Ceux-là qui étaient prodigues seulement acquéraient ses bonnes grâces : et encore fallait-il qu’ils eussent de la modestie et qu’ils gardassent le silence, pour parvenir aux