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Page:Sorel - L’Histoire comique de Francion, 1925.djvu/130

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suprêmes degrés de la félicité d’amour, d’autant qu’elle voulait toujours paraître chaste.

Elle ne sortait guère que les bons jours et paraissait si gentille en la maison avec une simple jupe, que les plus belles de la cour lui eussent porté envie. Aussi y eut-il un seigneur nommé Alidan, qui, la voyant en cet état à la fenêtre, en passant par notre rue, la trouva la plus aimable fille qu’il eût jamais considérée, et s’informa curieusement qui elle était. Comme il sut que c’était Laurette, dont il avait ouï faire du récit à des courtisans, il fut encore plus embrasé au souvenir des preuves que l’on lui avait données de son gentil esprit.

Tout aussitôt, il se résolut d’acquérir une si belle possession ; et lui étant avis que je ne la lui donnerais pas pour quelque prix que ce fût, il crut qu’il lui était nécessaire de la faire enlever. De tous côtés il nous fait épier par ses gens ; et, comme j’étais un soir sortie, il envoya un carrosse devant notre porte : un homme de bonne mine en sortit, qui allait faire accroire à Laurette qu’au lieu d’aller où je lui avais dit en partant, j’avais été chez un galant homme où je l’attendais, et qu’il fallait qu’elle se mît dedans le carrosse pour m’y venir trouver. De mauvaise fortune, Laurette était toute vêtue à cette heure-là, de sorte qu’elle ne se fit guère prier pour sortir de la maison, parce que même il était vrai que j’allais souvent chez celui où l’on lui disait que j’étais.

Le carrosse étant arrivé en la maison d’Alidan, elle fut reçue de son nouvel amant comme vous pouvez penser. Quoiqu’au commencement elle ne voulut pas permettre que celui qui l’avait trompée lui touchât en aucune façon,