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Page:Sorel - L’Histoire comique de Francion, 1925.djvu/131

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à la fin, considérant ses qualités éminentes et le bon traitement qu’il lui faisait, elle se laissa apprivoiser. Cependant j’étais bien en peine d’elle, et tout mon exercice était de m’enquêter si elle n’était point chez quelqu’un de ceux qui lui avaient fait l’amour.

Le troisième jour d’après celui de sa perte, je rencontrai un honnête homme de ma connaissance, qui m’apprit le lieu où elle était. Je m’y en allai tout de ce pas, et demandai à parler à Alidan, à qui je dis que l’on m’avait assuré que c’était lui qui m’avait fait ravir une certaine nièce qui vivait avec moi, et le suppliai de m’excuser si je prenais la hardiesse de lui venir demander si cela était vrai. Après qu’il me l’eut nié, je repris de la sorte :

— Monsieur, vous n’avez que faire de me celer, car aussi bien ne la veux-je pas ravoir : elle est en trop bonne main. Je viens ici seulement pour vous déclarer qu’il ne fallait point que vous vous servissiez de tromperie ni de violence, parce que, si vous me l’eussiez demandée, je vous l’eusse donnée de bon gré.

M’ayant ouï parler avec une liberté si grande, il me découvrit ce qui en était ; et, m’ayant fait donner une récompense dont je me contentai, me mena voir Laurette en son corps de logis de derrière. Elle me fit des excuses sur ce qu’elle ne m’avait point mandé de ses nouvelles, et me dit qu’elle n’avait su le faire en façon quelconque. Ce m’était une chose bien fâcheuse d’être privés de sa compagnie, et ce néanmoins la nécessité m’apprit à m’y résoudre. Tantôt Alidan l’envoyait aux champs, tantôt il la faisait venir à la ville, et souvent il la faisait loger ailleurs que dans sa maison. C’était alors que je l’allais visiter bien fami-