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Page:Sorel - L’Histoire comique de Francion, 1925.djvu/136

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de voir une mignarde veuve de ce pays-ci, qui s’appelle Hélène ; je soupai avec elle fort tard, et, en passant par ici pour m’en retourner en mon château, il m’arriva un accident qui me fit demeurer, et que je bénis comme la cause de mon bonheur : c’est que mon cheval se rompit une jambe en sautant un fossé. Mais je ne voudrais pas pour cinquante coureurs tels que lui n’avoir eu votre rencontre.

Pour répondre à ces honnêtetés signalées, Francion usa des compliments qui lui semblèrent plus à propos ; et ayant dit sur la fin que, pour récompense, il s’efforcera de donner son sang et sa vie et tout ce qu’on lui demanderait, le gentilhomme lui dit que, pour lors, il ne voulait rien autre chose de lui, sinon qu’il lui racontât le songe qu’il avait fait la nuit passée. Tandis que le carrosse roulait à travers les champs, Francion commença ainsi à parler :

— Monsieur, puisque votre bel esprit désire être récrée par des rêveries, je m’en vais vous en raconter les plus extravagantes qui aient jamais été entendues, et je mets encore de mon propre mouvement cette loi en mon discours, que, s’il s’y trouve des fadaises qui vous ennuient, je le terminerai aussitôt que vous l’aurez dit.

— Vous ne finiriez jamais, interrompit le gentilhomme bourguignon, si vous attendiez que je vous fisse taire ; car vous ne pouvez rien dire que d’extrêmement à propos et extrêmement délicieux à entendre. Encore que les choses que vous avez songées soient sans raison et sans ordre, je ne laisserai pas de les écouter attentivement, afin de les éplucher après si bien, que j’en puisse tirer l’explication.