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Page:Sorel - L’Histoire comique de Francion, 1925.djvu/139

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corps perdu, afin de nager jusques à l’île. Mais je portai la peine de mon imprudence, car cette terre que je croyais être fort proche était fort éloignée, et si, elle se reculait à mesure que je m’avançais, comme si elle eût nagé comme moi.

Le désespoir d’y aborder jamais fit anéantir mes forces, et, mon corps n’étant plus soutenu par le mouvement de mes bras ni de mes pieds, je fus englouti des flots qui s’élevèrent en même temps aussi impétueux que ceux d’une mer.

Après cela, je ne sais de quelle sorte il advint que je me trouvai dans le ciel ; car vous savez que tous les songes ne se font ainsi qu’à bâtons rompus. Voici les plus fantasques imaginations que jamais esprit ait eues ; mais écoutez tout sans rire, je vous en prie, parce que, si vous en riez, vous m’émouvrez par aventure à faire de même, et cela fera mal à ma tête qui ne se porte pas trop bien.

— Ha ! mon Dieu, vous me tuez de vous arrêter, tant j’ai hâte de savoir vos imaginaires aventures, dit le gentilhomme ; continuez, je me mordrai plutôt les lèvres, quand vous direz quelque chose de plaisant. Hé bien ! vous vous trouvâtes dans le ciel, y faisait-il beau ?

— Voilà une demande ! répondit Francion. Comment est-ce qu’il y ferait laid, vu que c’est là qu’est le siège de la lumière et l’assemblage des plus vives couleurs ?

Je reconnus que j’y étais, à voir les astres, qui reluisent aussi bien par-dessus que par-dessous, afin d’éclairer en ces voûtes. Ils sont tous attachés avec des boucles d’or ; et je vis de belles dames qui me semblèrent des déesses, lesquelles en vinrent défaire quelques-uns, qu’elles lièrent