Aller au contenu

Page:Sorel - L’Histoire comique de Francion, 1925.djvu/144

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
118

pré assez fleurissant où je vis une grande quantité de monstres si extraordinaires, que je ne pouvais discerner de quelle façon étaient leurs corps. Petit à petit, quelques-uns s’avancèrent vers moi et principalement deux qui en portaient un autre sur leurs épaules. Celui-ci avait le cul tout découvert et portait dessus une belle couronne d’or à la mode nouvelle. Lui et ceux qui le soutenaient avaient des membres d’une même sorte. Leur tête était comme celle d’un âne, et le reste de leur corps comme celui d’un bouquin. La grande troupe qui s’avançait encore était bien plus difforme, car il n’y avait pas deux parties en ces monstres-là qui fussent d’un semblable animal : toutes étaient de différentes espèces de brutes. Un d’entre eux, plus laid que pas un, était traîné dans un chariot et en menait beaucoup d’autres enchaînés alentour de lui, lesquels entraînaient encore quelques-uns de leurs compagnons attachés à eux tout de même. Nonobstant leur captivité, ils ne laissaient pas de témoigner leur allégresse par des hurlements épouvantables.

Comme je m’amusais à les considérer avec étonnement, une ancienne matrone, vêtue à la grecque, me vint aborder et me montrer deux fontaines proches l’une de l’autre.

— Si vous buvez de l’eau de cette première, dit-elle, vous deviendrez pareil à ces monstres que vous voyez et serez mis en leur compagnie ; mais si vous buvez de l’eau de cette autre, vous acquerrez des perfections infinies.

Je m’en allai donc à cette dernière pour obtenir ce qu’elle me promettait ; mais je n’eus pas sitôt bu plein ma main que, me mirant dedans l’eau, je vis que j’avais la