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Page:Sorel - L’Histoire comique de Francion, 1925.djvu/146

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faire rire et, pour leur témoigner, je me pris à rire si fort moi-même, qu’ils furent contraints de rire aussi sans savoir pour quelle occasion. Leur maître, qui n’avait pas tant de mal que je pensais, me fit amener vers lui pour prendre son plaisir de moi. Comme il me commandait de le faire rire aussi bien que ses serviteurs, je lui dis premièrement, voyant que l’on lui apportait à souper, qu’il ne lui était pas nécessaire de tenir une grosse cuisine et qu’il n’avait qu’à manger petit à petit les murailles de son palais. Ayant là-dessus fait un éclat de risée, il voulut savoir de moi où il se pourrait mettre après à couvert, et de quelle matière il bâtirait un autre séjour. Je lui fis réponse, sans demeurer court, qu’il entasserait l’une sur l’autre les ordures que son ventre rejetterait par son boyau culier, et qu’il n’aurait point de jugement s’il ne s’édifiait un logis pour lui des choses que son corps même n’avait pas dédaigné de loger en soi. Ces maîtres, qui ne tenaient rien des hommes, sinon en ce qu’ils avaient l’usage du ris, furent encore émus à rire merveilleusement, et, ayant la curiosité de voir si je ne pourrais pas aussi bien les faire pleurer, je leur reprochai leur laideur avec des paroles injurieuses et leur donnai avis de changer de forme s’ils en avaient la puissance. Mais, au lieu de les rendre tristes, je les rendis si joyeux, qu’ils ne songeaient qu’à faire des gambades et à se moquer de moi comme d’un insensé.

Leur vilaine humeur me déplaisant, je m’enfuis de leur compagnie et rencontrai la matrone grecque qui, m’ayant jeté d’une certaine eau au visage, me montra dans un miroir que j’avais ma première forme. Lui ayant demandé pour quelle cause l’eau que j’avais bue m’avait autrement